Devenir performant·e en musculation, c’est possible !

Temps de lecture : 10 mn.

Laurent Julien et Dominique Di Girolamo enseignent la musculation en LP. Ils présentent un travail débouchant sur des performances, certes, mais résultat de la maîtrise technique combinée à la charge ou au volume de travail.

La musculation : une activité qui les accroche mais en rupture avec leurs représentations

La classe est une 2e professionnelle administration, transport, logistique (ATL) composée essentiellement de filles. Mais les propositions qui suivent sont identiques dans nos classes plus masculines. La classe est composée d’élèves qui, en échec scolaire au collège, viennent massivement dans notre lycée par défaut car ils et elles sont sûr·es d’avoir une place dans cette formation. Ils et elles sont peu sportifs et font peu d’activité physique en dehors des heures d’EPS.

Leurs représentations sont très marquées car nos élèves sont très influencé·es par les réseaux sociaux et sont soucieux de leur apparence : les garçons sont très centrés sur les pectoraux et les biceps, ils veulent « pousser de la fonte ». Quant aux filles, elles sont motivées par ce qui concerne le bas du corps : « ventre plat et belles fesses».

Les circuits training ne s’inscrivent pas dans leurs représentations
La musculation que nous proposons en circuit training, sorte d’interval training, entre plus ou moins en contradiction avec leurs représentations de la musculation : soulever le plus lourd ou exécuter lourd ou le plus grand nombre de répétitions. Malgré la contradiction entre ce que nous proposons et l’image qu’ils et elles ont de la musculation, nous arrivons à les accrocher car la musculation est nouvelle. Il y a ceux qui sont frustrés car s’attendaient à aller sur des machines, mais d’autres sont rassuré·es car l’évaluation ne porte pas sur la charge ni les répétitions.

Une activité qui nécessite de réfléchir sur sa pratique
Les séances sont toujours construites de la même façon et divisées en 3 temps : l’échauffement, le travail en circuit et un retour au calme. C’est très « cadré » finalement et rassurant. En musculation nos élèves devront agir sur leur pratique :
ils et elles vont de mieux en mieux maîtriser les différents paramètres, acquérir des connaissances, construire des repères, identifier des ressentis pour mieux performer. Cette activité de mise en relation entre ce qu’ils et elles font et l’analyse est plus simple en musculation qu’en sports collectifs par exemple.

Une organisation qui permet à toutes et tous de pratiquer sans crainte du regard des autres
Notre salle est suffisamment spacieuse pour accueillir un espace sans machine. Ainsi dans les premières séances, tous les ateliers échauffement et circuit sont sur l’espace tapis.
Tous les élèves sont en cercle, je suis au milieu, ce qui me permet de corriger très vite un·e élève qui en a besoin. En cercle et non par rangées pour que personne ne travaille derrière un autre. Sur tout le cycle, les filles font exactement les mêmes ateliers que les garçons, seuls les niveaux de difficulté changent.

Notre objectif
En seconde, toutes et tous les élèves doivent en fin de cycle être autonomes, capables de travailler en sécurité (positions, trajets, charges), concevoir leur circuit training en étant capables d’ajuster les ateliers au regard des muscles sollicités. Le volume et/ou la charge de travail doivent être augmentés grâce à l’acquisition de techniques et la maîtrise de la sécurité active (posturale) et passive (gestion du matériel).

Le rituel de la séance

L’échauffement
L’échauffement dure une quinzaine de minutes. L’objectif est la construction de routines, de connaître différents moyens de s’échauffer. Il est composé de 3 temps : cardio, articulaire, spécifique.

  • La partie cardio
    Les élèves sont par 2. Les durées de pratique et de repos en alternance sont de 30’’/30’’pendant que l’un·e pratique, l’autre récupère. On peut travailler avec des cordes à sauter, step, vélo, rameur, faire des déplacements variés (montées genoux, talons fesse, jumping jack, etc).
  • L’échauffement articulaire 5’
    L’objectif est de s‘échauffer mais aussi de faire le lien entre la mobilisation des articulations et les muscles sollicités. On part du haut vers le bas.
  • L’échauffement spécifique 4’
    Alternance de 20’’d’activité, 10’’de repos à l’aide d’une bande son (Tabata song sur YouTube). On enchaîne 2 séries d’un circuit composé de 4 exercices de plusieurs niveaux de difficulté.

En même temps que je fais avec eux, je corrige les mauvaises postures comme les talons qui se décollent, les genoux qui rentrent, le placement du dos… Je leur demande d’être attentifs aux alignement dos, tête, bassin, etc. Cela peut être des pompes, des squats, relevés de buste avec ou sans rotation, crunchs… On change les exercices à chaque séance et au fur et à mesure du cycle, on dispose de plus en plus d’exercices. à partir de la 3e ou 4e séance, l’échauffement est dévolu aux élèves. Ils et elles savent qu’il est composé de 3 parties et doit durer un quart d’heure. Ils et elles construisent progressivement le rapport entre les groupes musculaires sollicités et l’exercice choisi.

Le circuit

Les principes qui nous guident:

  • Comment permettre la réussite de toutes et tous? En jouant sur divers paramètres : Des ateliers avec des niveaux de difficulté croissants grâce au jeu sur les hauteurs, les temps de gainage, les degrés d’inclinaison, d’angulation, les charges.
  • Des formes de pratique diverses : les exercices, en circuit, seul·e, duos, ou en groupe. Avec ou sans charges additionnelles. En jouant sur des paramètres de création de tout ou partie de séances (séries, répétitions, temps de repos, charge).
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  • Le fil rouge : conception et organisation du circuit
    Il y a 8 ateliers par circuit. à chaque atelier, qui dure 8 mn maximum, chacun·e fait 3 à 4 séries selon que les groupes sont de 2 ou 3. Le ratio est de 1/3 ou 1⁄2. Chacun passe sur l’atelier, joue le rôle de sécurité et le rôle de coach. Un timer bipe et donne les repères de durée. Le choix des ateliers respecte toujours la sollicitation des 4 principaux groupes musculaires (tronc, membres supérieurs et inférieurs, abdos/lombaires). Cette organisation et cette conception, toujours les mêmes, sont le fil rouge sur toute la durée du cycle.
  • Les groupements
    Dès la première séance, les élèves se regroupent par 3 et par affinité. Mais si cela ne fonctionne pas bien, ou que les élèves sont de niveaux différents, j’introduis un·e élève qui joue le jeu de tutorat. Par exemple, je suis soucieux que des élèves parlant difficilement le français ne restent pas ensemble.
  • Les ateliers sont le plus possible variés à chaque séance
    On fait découvrir un maximum d’ateliers pour solliciter différemment tous les groupes musculaires.
  • Équilibre des groupes musculaires sollicités
    L’échauffement spécifique et les circuits sollicitent les groupes musculaires selon plusieurs principes : du haut vers le bas, agoniste et antagoniste, concentrique, excentrique, isométrique même si je n’utilise pas ces termes. Par exemple, les pectoraux en développé couché sont associés aux dorsaux en tirage poitrine.((Le tirage nuque est problématique pour les épaules, nous l’avons supprimé au profit du tirage poitrine. ))

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Exemple : la première séance

La conception du circuit
Battle rope (corde ondulatoire): la corde d’environ 8kg est attachée à un point fixe. Le but est de la faire onduler.
Abdo-rameur : assis en équilibre sur les fesses, jambes pliées, le dos droit, bras croisés poitrine. Tendre et replier alternativement les jambes, comme pour ramer.
Montées, descentes de box : soit en marchant soit en sautant.
Tirage menton au kettlebell : le kettlebell est saisi à 2 mains, le remonter jusqu’au menton et le descendre bras tendus devant soi.
Relevé de buste au banc à lombaires : Thruster (squat complet avec développé) avec bâton, barre, élastique de faible résistance ou haltères.
Gainage en planche ventrale

Les différents exercices sont très sollicitants à la fois sur le plan cardiaque et sur le plan musculaire puisque chacun·e fera plusieurs séries à chaque atelier.

La présentation du circuit
30’’de travail, 30’’de repos et régulation, 5 à 6 répétitions minimum par élève à chaque atelier pour comprendre les trajets, les ressentis et avoir un volume suffisant. Chaque groupe dispose d’une fiche avec les « PTS » : placement, trajets, sécurité. Je montre et quelques explications suffisent.

L’évolution au cours du cycle

Les deux premières séances : décisives car très sollicitantes
à la fin des deux premières séances, les élèves sont fatigué·es, rincé·es, vidé·es. Elles sont très intenses sur le plan énergétique. Les mouvements de chaque atelier sont complets, poly-articulaires, proches de la vie de tous les jours. Leur répétition sollicite les organismes de manière inhabituelle. Ils et elles éprouvent une véritable sensation de fatigue musculaire, de fatigue nerveuse et auront des courbatures.
Ces séances contribuent à déconstruire leurs représentations et les élèves comprennent qu’il n’est pas obligatoire de se mettre sous une barre lourdement chargée pour se sentir fatigué·e.

Les deux premières séances : étalon du ressenti
Les deux premières séances sont en quelque sorte des « étalons » du point de vue de la fatigue ressentie et le but est de maintenir ces sensations de fatigue tout au long du cycle… malgré les progrès.

Les transformations : maîtrise technique et augmentation du volume et de la charge
Pour ressentir l’état de «fatigue étalon» des premières séances, il faudra donc augmenter la charge de travail. En effet, les transformations sont visibles : les élèves enchaînent de plus en plus facilement les séries, récupèrent plus vite et ont moins de courbatures. La construction de repères sur les postures, les trajets des différents segments et la sécurité (PTS) est développée à chaque atelier dès la première séance et se prolonge tout au long du cycle ce qui contribue aux acquisitions techniques. Celles-ci rendent les mouvements plus économes, plus efficaces, plus efficients ce qui permettra de délaisser progressivement les élastiques pour augmenter les charges en utilisant des haltères, des poids, des barres, des machines.
Mais attention, la dialectique entre l’augmentation du volume et l’intensité de travail en terme de charges, de répétitions, de séries et le respect des PTS est permanente. La performance est ainsi le résultat de la maîtrise technique combinée à la charge ou au volume de travail.

Un exemple : le développé couché (qui sera intégré en 3e séance)

En arrivant sur l’atelier, les élèves doivent prendre connaissance de la fiche. La fiche servira aussi à recueillir ce qu’ils et elles ont fait.
La sécurité : un pareur au niveau de la tête, pas d’hyper-lordose, dos à plat, pieds à plat sur les steps posés au sol à côté du banc ou en bout de banc pour éviter toute lordose.

Chacun·e cherche la position et l’installation du matériel qui lui convient le mieux. Puis, l’un·e réalise pendant que les 2 autres vérifient 3 critères : la sécurité, le placement et l’exécution.

La consigne est de démarrer pour tout le monde par le niveau 1.
Les garçons râlent car il faut commencer par le niveau facile sans charge!
C’est obligatoire car la première série sert de fin d’échauffement spécifique.

Ils démarrent par N1, mais comme c’est facile, le trajet moteur n’est pas toujours correct.
La règle est la suivante : pas de charge supplémentaire tant que le trajet n’est pas juste.

Quand la série de N1 est réussie, on peut passer au N2. Il y a 3 niveaux par atelier.

N1 : la barre seule (10 kg),
N2 : 15 kg charge totale
N3 : 20 kg. 30’’de travail

1’ repos pendant que les 2 autres travaillent, puis toujours dans la même durée, entre 15 et 20 répétitions.

Ce type de travail est un travail d’endurance de force. C’est pourquoi j’autorise un N4 après la 3e séance si le N3 est trop léger à condition que les PTS et le nombre de répétitions soient respectés.

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Les rôles d’observateur et de pareur sont très importants. Ils veillent aux bons placements, corrigent s’il y a détérioration du mouvement, valident la série et autorisent ou non le niveau suivant si l’élève le souhaite.
Ici par exemple: «Attention, la barre n’est pas horizontale », « Tes bras ne sont pas tendus », « Tu cambres ».
La mise en œuvre des 3 rôles est précieuse car elle évite des situations dangereuses. Tout le monde a quelque chose à faire, chacun·e a un rôle précis.
Bien-sûr, il arrive que l’un·e d’entre eux aille voir un autre atelier, mais comme je suis au milieu, c’est facile pour moi d’intervenir.

L’objet du cycle est de rendre performant·es tous et toutes nos élèves. Cela passe par l’acquisition de techniques posturales et de mouvements pour s’engager en toute sécurité. Cela passe par la maîtrise de savoirs, savoirs faire, des savoirs êtres et de méthodes de travail.

Il faut du temps, mais les élèves apprennent progressivement à mieux se connaître, à observer de manière précise et ciblée, à respecter des procédures, des règles.
Ils et elles deviennent capables de corriger, conseiller.
Ils et elles se connaissent mieux, connaissent les charges optimales qu’ils et elles peuvent manipuler sans danger, font la relation entre les groupes et chaînes musculaires sollicités et les ateliers.
Ils et elles progressent du point de vue de leurs ressources.

La transformation de leurs représentations est aussi une aide précieuse pour engager et développer ces transformations !

entretien réalisé par syvaine Duboz et paru dans le Contrepied n°26 – Musculation

Retrouvez 8 exercices pour « Devenir performant.e en musculation » ici