Réponse de A Becker à J Gleyse – Pourquoi ce procès?

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Sous un titre en partie trompeur « A propos du sujet de l’écrit I du CAPEPS externe 2003. Quand l’histoire dérange le pouvoir », Jacques Gleyze publie, dans le bulletin de liaison n°26 de l’AFR-APS nouvelle série, une tribune dite libre dont le genre et les buts interrogent.


Ce ne sont pas les précautions tardives et convenues qu’il avance dans sa conclusion qui lèveront l’ambiguïté sur la nature de son discours. Nous citons : « Je tiens à affirmer qu’il (le texte) ne doit pas être confondu avec d’autres positions institutionnelles que j’occupe dans le domaine des STAPS (la direction de la revue STAPS) et notamment avec ma position d’enseignant chercheur en STAPS, il est simplement le point de vue d’un ancien enseignant d’EPS ». Oui certes, mais il se trouve que Jacques Gleyze est d’abord directeur de la revue STAPS. C’est pour cela que l’article mettant en cause le SNEP interroge notre organisation comme membre de l’AFR-STAPS.
Il n’est pas dans la tradition rédactionnelle française qu’un directeur de publication (fut-elle associative) s’approprie unilatéralement la tribune libre, par usage, réservée aux lecteurs. Dans un tel cas de figure, c’est l’esprit même de cette forme d’expression qui est à nos yeux détourné de son sens.

Mais venons-en maintenant à la nature des propos de J. Gleyze.
Quelle mouche l’a donc piqué, pourrions-nous dire ? Car enfin, partant d’une question récurrente et d’une critique légitime à propos du concours externe 2003 (la réduction de l’Histoire à une analyse du temps présent, voire de l’actualité pour reprendre les mots utilisés par J. Gleize), comment accepter que « l’ancien professeur d’EPS et militant du SGEN-CFDT » qu’il est, use en fait de ses responsabilités actuelle pour se livrer à une attaque politique et idéologique en règle de l’activité du SNEP de 1967 à nos jours ? Comment ensuite rester silencieux face à la mise en cause morale de notre syndicalisme et de ses responsables. Ainsi, au nom d’un vieux principe de minoritaire, une majorité opposée au pouvoir en place serait condamnée à trahir ses mandants et être par essence « collaborationniste ».

Qu’on nous entende bien, l’ancien professeur d’EPS J. Gleyze a le droit fondamental, comme tout un chacun, de critiquer le SNEP. Il peut même le faire avec une certaine agressivité, quitte à prendre quelques libertés avec les faits, a révéler des outils d’analyse quelque peu datés et une méconnaissance sérieuse du contenu des récents débats professionnels, à se laisser aller à quelques comparaisons historiques douteuses. Il peut donc le faire… mais pas comme directeur de la revue et pas dans les conditions rappelées ici. Nous ne sommes pas de ceux qui considérons qu’en politique tous les coups sont permis et nous nous en tenons collectivement à cette règle.

Si c’est l’acteur qui est censé parler, il le fait avec la double caution et donc la double protection du statut d’historien et de celui de directeur de revue scientifique international. C’est ce qu’on appelle mettre tous les atouts de son côté.

Bien évidemment, l’universitaire historien J. Gleyze est fondé à produire des connaissances sur notre discipline et donc sur le rôle du SNEP (et c’est à la communauté scientifique ad hoc d’en évaluer la qualité). Bien sûr, l’organisation syndicale ne peut, elle, prétendre échapper aux investigations historiques. Quel intérêt aurait-elle d’ailleurs à vouloir s’y opposer ?
Non, la question n’est pas là. Le problème reste celui du genre de l’article de Jacques Gleize dans le bulletin de liaison de l’AFR-APS. Mélange subtil des « genres » pourrions-nous dire, car contrairement à ce que prétend l’auteur, si c’est l’acteur qui est censé parler, il le fait avec la double caution et donc la double protection du statut d’historien et de celui de directeur de revue scientifique international. C’est ce qu’on appelle mettre tous les atouts de son côté.
Le débat politique national crève de ces discussions tronquées où les protagonistes abusent de leur position institutionnelle ou de leur statut scientifique pour énoncer des points de vue partisans qui, dès lors, ne peuvent relever, bien sûr, que de la pure rationalité ou de la vérité vraie !.
J. Gleyze ne rechigne pas à se glisser dans ces « habits » là. Il le fait pour « entrer » en politique sans risque en quelque sorte.
Et c’est partant de cette position que l’acteur qu’il a été, peut laisser supposer que sa « propre histoire » pourrait valoir comme travail d’historiographe. Ce n’est pas le moindre des paradoxes de son intervention, que de voir son auteur tomber, d’une certaine manière, sous le coup de ses propres mises en garde méthodologiques.
J. Gleyze développe par ailleurs l’idée que c’est le « travail d’archives poussé et rigoureux », à nos yeux, incontournable et nécessaire, qui fait que l’historien parlerait vrai.
Pour autant, l’historien peut-il prétendre, sur cette base, à la vérité ou encore et plus fondamentalement, y a-t-il une vérité en Histoire ? Posant cette question, nous ne voulons pas épouser la thèse très post-moderne du relativisme absolu, mais nous croyons pouvoir retenir des débats historiques contemporains que c’est le mouvement de l’Histoire, la confrontation des modèles explicatifs, des différents points de vue exprimés par les historiens qui font avancer la connaissance, plus que la vision personnelle, par ailleurs indispensable, de tel ou tel historien.
Bien sûr les acteurs ne peuvent prétendre écrire l’Histoire. Sont-ils pour autant interdits d’Histoire, surtout lorsqu’ils sont dépositaires d’une réflexion collective et inscrite dans le temps ? Nous laisserons les historiens répondre… et nous dire ce qu’il en serait d’une Histoire qui ignorerait le témoignage des acteurs.

Mais revenons aux propos introductifs de J. Gleyze. Il y met en exergue la « dérive » consistant à confondre le « temps historique, le temps présent, voire l’actualité ».
Nous partageons, sous réserve d’inventaire, cette critique et invitons les lecteurs à prendre connaissance à cet égard du bulletin SNEP n°687 relatif au CAPEPS.
De ce point de vue, puisque J. Gleyze est en recherche d’alliance contre « l’empire du mal » que constituerait le SNEP, qu’il prend par une étrange et curieuse connivence universitaire la défense de Jean Luc Martin, il nous faut revenir, pour une part, sur le discours que ce dernier tient dans la revue EPS n°298 (qui est une revue professionnelle) à propos de l’activité et l’orientation du SNEP de 69 à 81 : Interrogeons-nous : Histoire ou actualité ? Historiographie ou discours politique et idéologique ? (à supposer qu’en histoire on puisse distinguer ces différents aspects).
En se confrontant à l’histoire « du temps présent » (notons d’ailleurs au passage que le travail de Martin s’efforce de s’appuyer sur des témoignages d’acteurs), comment les historiens, qui se confrontent à cette forme d’Histoire, peuvent-ils s’étonner de croiser sur leur chemin et dans une publication de cette nature, des acteurs encore bien vivants et vigilants ? Comment exclure du débat historique dans ce cas, le point de vue argumenté de ces derniers qui constatent parfois qu’on raconte des histoires sur certains aspects essentiels de leur propre histoire, voire de l’Histoire.
J. Gleyze peut toujours convoquer la méthodologie et l’académisme pour disqualifier certains acteurs collectifs jugés à l’occasion « hérétiques ». Cela fait-il avancer l’Histoire ? Si l’acteur est effectivement toujours impliqué, en quoi l’historien est-il, a priori, totalement libéré de ses propres représentations, de ses pré-supposés ? Comment peut-il se garantir de toute tentation, consciente ou non, d’instrumentation des faits, des matériaux dont il dispose, de manipulation des témoignages ? Associé qu’il est maintenant à JL. Martin par opportunité, J. Gleize choisit, comme son collègue, de descendre dans l’arène politique. Qui s’en plaindrait ? C’est même très estimable en ce moment de crise du politique. Courageux, pas téméraires, ils souhaitent toutefois pouvoir le faire sans le dire… à l’abri en quelque sorte. C’est cela qui est intellectuellement insupportable.
Le SNEP essaie d’assumer lucidement son histoire (voir à ce propos les travaux de J. Rouyer, de G. Couturier, de M. Berge). Avec des historiens et d’autres syndicats, il travaille au sein de l’Institut de la FSU à la connaissance du syndicalisme enseignant. Dans ce cadre et dans celui du Centre EPS et société, il continuera, qu’on se rassure, de travailler, avec un regard critique, à l’élucidation de sa propre histoire. (J. Gleyze pose à cet égard la question juste de la gestion, par le SNEP, des luttes en 1978) Nous ne craignons ni l’Histoire, ni l’activité des historiens. Nos locaux, nos archives, sont ouverts, nos militants sont disponibles. Cela se vérifie chaque jour.

Les choix qui ont été les nôtres depuis 1969 peuvent et doivent être critiqués. La connaissance de ce passé est une condition nécessaire à l’évolution normale de notre syndicalisme. Qui peut penser que les dirigeants que nous sommes aient un quelconque intérêt à méconnaître ce qu’ils ont été, ce qu’ils ont fait ? Cela serait suicidaire pour le SNEP et son avenir.
Nous demandons toutefois que concernant les politiques d’éducation et au regard des comparaisons internationales qu’on peut faire aujourd’hui, on accepte de juger notre action aussi au regard de ce qu’elle a produit. Nous pensons, en particulier, à la place qu’occupe aujourd’hui l’EPS dans le système éducatif français.
Bien sûr, c’est d’abord le résultat d’une profession (comprise au sens le plus large) que le SNEP ne peut prétendre totalement représenter ; c’est le produit de luttes nombreuses qui, dans l’histoire, ont rassemblé des syndiqués, des non syndiqués, d’autres syndicats. En ce sens, J. Gleyze a raison.
Mais qu’on le veuille ou non, c’est aussi le résultat d’une orientation syndicale, qui depuis presque 35 ans et dans le contexte syndical et politique qu’on connaît aujourd’hui en France, continue de rassembler aux élections professionnelles encore plus de 52% des enseignants d’EPS inscrits et 81,5% des suffrages exprimés chez les professeurs . Cette réalité tenace irrite, nous le savons. Certains prétendent qu’il s’agit d’une anomalie de l’Histoire, se privant ainsi, pour comprendre les choses, d’analyser l’activité syndicale concrète du SNEP.

Pour conclure et puisque la question est posée aujourd’hui de savoir qui du SNEP ou de Jacques Gleyze défend le plus et le mieux l’acquis que constitue la présence de l’Histoire au CAPEPS, nous osons dire que les historiens peuvent, sur ce point, dans leur diversité, prendre acte de notre engagement.