Maîtrise technique, intensité, variabilité.

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David Hurst, Professeur de Sport anglais, responsable des formations Planet Fitness, à Aix en Provence, considère la musculation comme une activité importante pour la jeunesse à la condition de sa maîtrise technique, avant toute charge ou répétitions. La variabilité et l’intensité des exercices intégrés dans l’apprentissage d’une apsa semblent les plus efficaces à l’école.

Que nous disent aujourd’hui les travaux scientifiques sur la pratique de la musculation pour les jeunes ?

Premièrement, je réfute le mythe qui consiste à dire que les mineurs, jeunes gens et jeunes filles, ne doivent pas pratiquer la musculation sous prétexte que cela freinerait leur croissance. Aucune recherche n’aboutit à ce résultat. Il ne faut pas confondre le principe de précaution, l’adaptation du travail avec les adolescents, à l’école ou en dehors, en fonction de leur niveau de départ, et l’interdiction pure et simple de cette activité. Au contraire, la stimulation des hormones de croissance et l’augmentation de la masse musculaire ainsi que le renforcement du tissu osseux font de la musculation une activité importante pour le développement des jeunes.

Par contre, pour ce qui est des doses de travail (charges, répétitions…), il nous faut nous assurer du niveau technique de chaque pratiquant avant de monter vers des charges maximales et/ou des intensités maximales. Il en va d’un évident souci de la sécurité. D’ailleurs, la même règle de progressivité vaut pour un adulte. Par exemple, quelqu’un qui n’a jamais pratiqué des arrachés va d’abord passer par une étape de soulevé de terre avec un placement de dos correct, avant de passer à l’épaulé- jeté. Une fois que nous avons constaté la maîtrise technique des différents procédés, nous pouvons monter en charge et travailler avec des charges maximales, et un nombre de répétitions maximales pour des charges sous maximales. Cela change d’un point de vue très français, qui consiste à dire qu’il ne faut pas travailler avec les charges additionnelles avant 16 ans.
Autre exemple, les « pompes ». Il s’agit d’un exercice connu de tous qui s’effectue sans charge additionnelle. Or, une « pompe » bien exécutée correspond à soulever deux tiers du poids de corps. Il n’y a aucune raison alors de ne pas pouvoir soulever le même poids en « développé couché » avec une barre.

Quelles sont les nouveautés en terme de méthodes d’entraînement ?

Dans mon travail avec l’INSEP, je défendais l’idée d’un raccourcissement du nombre de séries lors des- séances de musculation, avec des sujets de haut niveau (HN). Il s’avère qu’en terme de volume et de masse musculaire, de densité osseuse, l’élément qui déclenche le développement, c’est l’intensité avec laquelle on s’implique dans un exercice et non pas exclusivement le nombre de séries. Plusieurs études nous montrent que, pour un même exercice, les séquences à très haute intensité et celles avec un très grand nombre de répétitions, donnent sensiblement les mêmes résultats.
Ce gain de temps ouvre la voie à une plus grande variabilité des exercices. Cela aura pour conséquence de toucher les fibres musculaires sous des angles différents et avec une motricité différente.
Pour un·e jeune sportif·ve, qui est confronté·e à une grande variabilité de mouvements dans son sport, cela représente un intérêt particulier, aussi bien dans la préparation musculaire à cette variabilité qu’en termes de prévention, car les différents muscles seront sollicités sous des formes les plus différentes possibles (angles…). Il s’avère que les jeunes pratiquant en mono-activité se blessent plus souvent que ceux qui connaissent une variabilité plus grande des exercices. La musculation peut avoir un apport bénéfique dans la préparation des jeunes spécialisés. C’est la multiplication des charges variées qui va aider y compris dans la spécialisation sportive.

« Pour ce qui est de la souplesse,
je pense qu’une activité comme le yoga
est extrêmement utile en complément
d’un bon travail de musculation. »

Nous pourrions utiliser l’expression qui dirait que « c’est sous la grande pression des différentes couches, que naissent les diamants ». Ce postulat va bousculer aussi certaines certitudes techniques.
Dans un sport collectif, par exemple, les charges sont grandes et le contexte du jeu ne permet pas toujours d’avoir des postures « parfaites ». Donc, effectuer certaines séquences de musculation le dos rond, contrairement à ce qui a été admis jusqu’à présent, peut avoir de l’intérêt dans la prévention des blessures chez les joueur·se·s. Un judoka ou un rugbyman, n’effectueront jamais tout un combat ou un match sans passer par des efforts avec un dos rond. Par contre, les charges seront sous maximales afin de préserver le dos lors de la séquence de musculation.

Ensuite, nous avons de nouvelles formes de travail, très courtes (les Mills Grit ou HBX Boxing par exemple). Celles-ci s’adaptent à la demande sociale, celle de gens voulant travailler un minimum de temps. La séance peut durer 30’, échauffement et temps de récupération compris. Ce type de séances peut être un très bon complément à un entraînement sportif à raison d’une ou deux séances hebdomadaires. Ce type de séances a une incidence sur le taux de cholestérol, sur le VO2 max. Cependant, ce travail ne remplace pas complètement des séquences plus longues car les phases de récupérations sont plus longues.
En « grit », les charges sont forcément sous maximales parce que cela engendre de très grosses fatigues métaboliques compte tenu des enchaînements demandés. L’intérêt de cette méthode va de sa capacité d’adaptation à un groupe d’individus, jusqu’à la facilitation des techniques.

L’haltérophilie

Lorsque nous parlons d’haltérophilie, en musculation, nous posons la question sous la forme de son opposition au travail avec les machines. La machine a l’avantage de permettre de travailler un muscle avec une plus grande sécurité.
Quelqu’un qui n’a jamais fait de musculation, qui a une condition physique plutôt précaire, pourra démarrer un cycle de musculation avec des machines.
Cela aura pour conséquence d’augmenter, dans un premier temps, sa masse musculaire et de lui donner confiance en ses capacités. Dans le second temps, le travail avec une barre lui permettra de mobiliser les chaînes musculaires de façon plus poussée, en étant obligé de gérer les équilibres qu’il n’a pas eu à gérer avec une machine qui le guide.

Quel type de musculation quand celle-ci est pensée comme un apport supplémentaire à une pratique sportive ?

Ce contexte ne supprime pas les exercices traditionnels (développés couchés, les squats…). Par contre, il les voit articulés aux exercices dits « intégrés ». L’équipe de rugby anglaise a intégré dans ses séances le travail avec le « vipr », une espèce de tuyau en caoutchouc qui permet le travail de musculation en rotation. Ou encore un « TRX rip trainer », une barre (rigide et démontable pour sa portabilité) qui est attachée au mur ou au sol d’un côté (avec un élastique de grande qualité) mais pas de l’autre. Il s’agit de produire des formes de résistances se rapprochant des déséquilibres qui peuvent exister dans les contextes du jeu.

Autre exemple, dans le hockey sur glace les entraîneurs se sont rendus compte, de manière empirique, que les joueurs ayant, dans leur vie extra sportive, des activités ou des métiers physiques, avec une plus grande variété de mouvements et d’efforts (bûcherons, fermiers…) avaient une plus grande résistance aux chocs dans le jeu. En fait, cela a un rapport avec le tissu myo-fascial. Il s’agit d’une gaine qui ne s’arrête pas à l’insertion du muscle ou du tendon. Elle couvre toute une chaîne de plusieurs muscles. D’où l’intérêt de sa stimulation avec intégration des chaînes de mouvements de la tête au pieds.

Tout dépend du profil des sportif·ve·s et du temps dont ils·elles disposent. Pour un temps d’entraînement limité, le travail en intégration me semble plus intéressant associé au travail en force. Dans ce contexte, nous pouvons nous passer des machines. Puis, il y a l’adaptation des outils et des machines. Les judokas vont tirer sur une machine en s’agrippant à un kimono accroché à la machine en lieu et place de la barre et de ses poignées. L’idée étant d’articuler le travail de musculation avec des prises spécifiques au judo.

Comment tout cela pourrait influencer l’enseignement de la musculation dans le cadre de l’école ?

La première caractéristique de l’école est d’y avoir un grand nombre de sujets pour un seul enseignant. Et donc la question de la gestion d’une importante hétérogénéité. De manière générale, je pense que les séances devraient être raccourcies. Elles sont souvent trop longues, trop répétitives. Le nombre de séries devrait être réduit. Les séries répétitives sont un bon moyen pour progresser au niveau de la compréhension du mouvement et de l’apprentissage technique. Par contre, sur une séquence d’une heure trente, il est possible de varier davantage les exercices. Cela évite l’ennui mental mais aussi l’ennui musculaire, si j’ose dire. Varier les exercices une fois qu’ils sont installés permet de meilleurs gains musculaires. Il s’agit de varier la stimulation différente des mêmes groupes musculaires. Les aspects motivationnels sont ici liés aux gains physiques.

Quel échauffement et quel type de souplesse en musculation ?

Je préconise des échauffements à partir de 5’ allant jusqu’à 15’ selon l’activité pour ne pas engendrer de problèmes cardiaques (5’ a minima) et favoriser la performance (vers les 15’ si c’est le but de l’exercice).
S’il y a des aspects techniques ou psychologiques liés à la performance, alors on prend souvent une heure (avec différents étapes et récupérations) pour se préparer à un 1er combat de Judo dans un championnat important par exemple.
Si nous travaillons sur les charges maximales (compétition d’haltéro) et les répétitions avec l’épuisement musculaire (compétition de Crossfit) cela dépend de la complexité du mouvement pour les raisons techniques cités ci-dessus.

Pour ce qui est de la souplesse, je pense qu’une activité comme le yoga est extrêmement utile en complément d’un bon travail de musculation. Une très bonne souplesse plus une respiration très bien placée, permettent de ne pas travailler avec un frein à main. Les travaux sur les étirements étant contradictoires, je pense que travailler les muscles antagonistes peut permettre une très bonne souplesse lors des mouvements afin d’optimiser le travail technique.

Entretien réalisé par Andjelko Svrdlin et paru dans le Contrepied – n°26 Musculation