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Maurice Portes, au titre du « Groupe de Formation Initiale » de la FFHB, fait des propositions sur la notion de « programme ». Pour lui, il faut travailler la complexité, et non un découpage formel des compétences.

Avez-vous un programme de formation des joueurs à la fédération de handball ?

Au niveau fédéral, nous avons abandonné l’idée du programme, au sens classique du terme, c’est-à-dire un découpage temporel de savoirs référés à des facteurs extérieurs au sujet – l’âge, la catégorie ou le temps de pratique. Penser qu’au bout d’un temps de pratique de 10 h ou de 20 h, un joueur aurait acquis telle ou telle compétence, témoigne d’un formalisme qui ignore la complexité des modalités de construction des compétences. La progressivité dans le niveau d’efficience d’une compétence donnée sera assurée, pensons-nous, par la prise en compte d’objets constitutifs de la situation de jeu jusque-là négligés, par la pertinence de leur mise en système et par la construction d’outils pour agir sur ces objets. Nous parlons d’une construction « spiralaire » des compétences. Ce qui sollicite cette évolution c’est la difficulté de lecture des situations, car l’activité des adversaires est de plus en plus opaque, les espaces sont moins évidents, la vitesse de déplacement est plus importante, et il y a des modifications de plus en plus fines à effectuer en cours d’action pour obtenir les effets recherchés.

Les formulations des compétences, dans les programmes scolaires, sont tellement « englobantes », qu’elles ne sont ni fonctionnelles ni identifiables dans le jeu, ce qui rend impossible la déclinaison des contenus à s’approprier pour les alimenter.

Pour traduire la volonté de travailler sur les mêmes compétences tout au long du cursus, nous essayons d’identifier un trajet de formation au cours duquel on accompagnerait le joueur dans des sauts qualitatifs dans chacun des statuts : porteur de balle, défenseur proche, tireurs, gardiens… Nous décrivons ces sauts qualitatifs, et précisons ce qui doit être appris pour que le saut qualitatif soit effectif. Par exemple pour le porteur du ballon (PB), le débutant voit son environnement comme agressif car tous les autres souhaitent s’emparer du ballon. Il se comporte en « protecteur fuyard » (garde le ballon proche de la poitrine, tourne le dos à ses adversaires…). Le premier saut qualitatif, suppose qu’il adopte une attitude de lanceur. Ses partenaires vont alors s’écarter. Ensuite il faudra lui permettre de devenir « contourneur » ou « débordeur » de son défenseur proche… Il pourra le faire dans des situations de gagne terrain, par contre restera en difficulté quand les défenseurs sont regroupés autour de la surface de but…

Les programmes d’EPS définissent des niveaux de compétence à atteindre, à leur lecture les trouves-tu fonctionnels ?

à la fédération nous avons identifié des compétences du joueur de handball liées à des statuts en jeu (porteur du ballon, gardien…) qui doivent traduire un effet sur le rapport de force entre l’attaque et la défense, le tireur et le gardien ; le porteur de balle et son défenseur proche. Nous avons complété notre définition en précisant que ces compétences sont une contribution à produire opportunément des effets sur le rapport des forces, c’est-à-dire au bon moment, et là où il le faut. Certains entraineurs constatent de joueurs qu’ils savent tout faire, ils le font très bien, mais quand ils le font ce n’est ni le moment, ni le lieu de le faire. Pouvons-nous dire que ces joueurs sont compétents ? Pour finir nous avons ajouté une dimension fondamentale, c’est la production coordonnée de ces effets. L’idée de coordination met l’accent sur la nécessaire prise en compte de l’activité des partenaires.
Les formulations des compétences, dans les programmes scolaires, m’ont toujours parues tellement « englobantes », qu’elles ne sont ni fonctionnelles ni identifiables dans le jeu, ce qui rend, par conséquent, impossible la déclinaison des contenus à s’approprier pour les alimenter.

Le niveau 2 fait référence à une première circulation du ballon et des joueurs face à une défense placée.
Est-ce que l’on peut vraiment atteindre ce niveau avec des élèves après deux cycles ?

De toute façon lorsque les débutants jouent en gagne terrain avec une défense dispersée sur tout le terrain, et qu’ils ne parviennent pas à prendre de vitesse le repli défensif ou à le traverser, ils se retrouvent devant une défense repliée et reconstituée. Ils sont amenés à affronter ce type de défense et à tenter de résoudre ce problème même s’ils débutent. Ils n’auront pas simplement à faire circuler le ballon mais à manœuvrer collectivement pour placer un joueur en situation favorable de marque. L’apparition de ce contexte d’affrontement ne dépend pas d’un temps de pratique, mais s’impose à tous les joueurs qui n’auront pas pris de vitesse le repli défensif.

Dans ces programmes, il n’y a quasiment aucune différenciation de formulation des niveaux entre les différents sport-co, exceptée la cible ou d’autres particularités règlementaires ou terminologiques. Est-ce que cela signifie que la construction d’un joueur, de ses savoirs est identique ?

Les contenus mis en chantier dans un sport collectif peuvent se partager avec d’autres sports collectifs. Ainsi au basket, au football, au handball des objets semblables sont à prendre en compte – le couloir de jeu direct, par exemple –. Cela parce que ce sont des sports collectifs à espaces interpénétrés de sens contraire. Le joueur de handball cultivé comprendra très vite l’intérêt de prendre en compte l’état de ce CJD pour réussir… au basket. Mais il devra le recontextualiser aux caractéristiques spécifiques de la cible. Autre exemple, si je parviens à obtenir du défenseur qu’il module son activité en fonction de l’état du crédit d’action du porteur de balle, (le crédit d’action c’est ce que le règlement attribue au porteur de balle, donc faire 3 pas, dribbler sans interruption, après le dribble refaire 3 pas, garder le ballon 3 secondes ; au fur et à mesure que le temps passe et que le PB consomme ce crédit ses possibilités de nuisance se réduisent), il pourra se permettre soit de le laisser tranquille ou au contraire de le harceler pour qu’il se débarrasse du ballon dans de mauvaises conditions.

Ce ne sont pas des savoirs mais des objets identiques qui doivent être spécifiés et contextualisés à chaque spécialité.
Nous avons reçu cet été de nouveaux référentiels pour le DNB. Ils proposent de séparer la note en deux parties de 8 points. 8 pts sur les savoir-faire individuels et 8 points sur le collectif. Cette séparation traduit-t-elle un bon équilibre ? Comment évaluez-vous les joueurs ?

Nous n’avons pas travaillé sur la notation mais plutôt, à l’occasion des sélections, sur les problèmes de l’évaluation du niveau de compétences. Nous cherchons par exemple à savoir ce qu’ont acquis les joueurs à la fin d’un tronc commun qui se termine vers 14 ans. La difficulté en EPS, c’est que l’on prétend évaluer l’exercice d’une compétence qui n’en est pas une. Nous, nous avons défini les compétences en termes d’effet produit opportunément en coordination avec les autres sur les rapports de force ; et espérons ainsi être mieux armés pour en évaluer le niveau de maîtrise. Il n’y a donc pas lieu de différencier l’évaluation individuelle et collective. L’EPS me semble, pour l’instant, dans l’impossibilité d’évaluer le niveau d’acquisition des savoirs qu’elle transmet… puisque ces savoirs ne sont pas clairement identifiés.

Propos recueillis par Bruno Cremonesi et parus dans Contrepied HS n°6 – Handball