Les Chaises musicales : Illustration d’adaptations à des élèves aux besoins particuliers

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Professeur d’EPS, formateur à l’INSHEA, Thierry Bourgoin s’attache à illustrer, à travers un jeu connu, des adaptations qui permettent à des enfants aux déficiences et troubles divers de s’engager dans une activité ludique partagée, sous forme d’opposition ou de coopération.

La norme du jeu standard : une relation fondée sur l’opposition.

Le scénario du jeu : un nombre de joueurs n, un nombre de chaises n-1. Une mélodie met les joueurs en mouvement autour des chaises. Lorsque la mélodie cesse, les joueurs réagissent en cherchant une chaise disponible où s’asseoir. Un joueur reste donc en station debout, ce qui l’élimine de la partie. On supprime alors une chaise, puis on recommence ainsi jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une seule chaise pour deux finalistes.

La norme de ce jeu présuppose un ensemble d’acteurs susceptibles de se mouvoir librement en station debout, capables d’investir le jeu et de s’y engager en réagissant rapidement à un signal sonore, capables également de supporter l’opposition puis la frustration de l’élimination lorsque la situation de jeu y oblige.

La particularité de certains publics d’élèves, dans une situation de handicap donnée, impose de fait une adaptation des formes du jeu, et ce sur différents registres en fonction des besoins des acteurs concernés.

Soit un joueur avec une déficience motrice, éventuellement en fauteuil roulant manuel ou électrique. L’objet « chaise » se révélant par trop sélectif, il est alors remplacé par un autre type de cible horizontale répondant mieux aux besoins du joueur perturbé dans sa motricité ou en fauteuil roulant. Des cibles horizontales au sol (du type foulard, cerceau, chasuble…) autorisent ainsi l’activité et la participation de tous au scénario incertain de la partie.

Une finale entre un joueur debout et un joueur en fauteuil invite à proposer une cible unique au sol, offrant ainsi une cible accessible aux deux joueurs tout en conservant l’incertitude quant au résultat final de la partie.

Une variante peut explorer l’intérêt des cibles différenciées selon leur hauteur en fonction des besoins et des possibilités des joueurs. Disposés sur le sol, cerceau, chaise, chasuble, tabouret, tapis et siège sont répartis afin que les joueurs debout et les joueurs en fauteuil, recherchant des cibles distinctes, y accèdent au sein de la même partie.

Soit un joueur avec une déficience visuelle et atteint d’une forme de malvoyance. Vision centrale ou vision périphérique, vision de près ou vision de loin, champ visuel ou acuité visuelle sont autant d’aspects de la vision susceptibles d’être altérés et de donner lieu à des formes d’atteinte de la prise d’information sur l’environnement. Les propositions d’adaptations cherchent avant tout à répondre à ce qui apparaît comme nécessaire au joueur malvoyant afin qu’il prenne toute sa place dans le scénario de la partie. Selon le cas, les adaptations peuvent prendre des formes différentes ; ainsi avec les exemples suivants :

  • des cibles « flashy », habillées de couleurs vives ou nettement contrastées (avec des chasubles) afin de faciliter la discrimination et la capture de l’information utile au repérage des cibles verticales ou horizontales ;
  • des cibles « tactiles » du type banc ou chaises alignées en série continue (ligne ou cercle) permettant un repérage manuel en déplacement dans le cours de jeu ;
  • une cible « tactile » dans un espace réservé (une cible pour un joueur, du type ballon de fitness). Si le jeune doit absolument éviter les chocs avec autrui (en raison d’un glaucome par exemple), sa partie se déroule ainsi dans un espace protégé où il bénéficie d’une cible différenciée sans que le critère « réactivité à s’asseoir » soit impacté pour le fonctionnement du groupe ;
  • des cibles « tactiles » pour tous. Un ballon de fitness pour deux sollicite ainsi la réactivité à s’asseoir à l’arrêt de la mélodie, mais cette fois en situation de duel. Le scénario de la partie peut ici intégrer des poules successives de repêchage dans la mesure où le nombre de joueurs diminue de moitié à chaque tour.

Soit un joueur avec une déficience visuelle totale. Pour le joueur aveugle, il est crucial de répondre au besoin d’une information « tactile » pour l’aider à prendre sa place dans le déroulement de la partie et à vivre pleinement l’expérience de ce jeu. Deux voies peuvent ici être explorées :

  • Une voie entièrement collective, où le groupe se déplace autour d’un objet central du type tapis de saut en hauteur ou de gymnastique (gros tapis DIMA). Le contact manuel continu avec l’objet central est permis au joueur aveugle, et des repères au sol sont éventuellement mis en place afin qu’il soit guidé par des informations plantaires pendant son déplacement. La hauteur du tapis au dessus du bassin oblige les joueurs à effectuer un léger saut en hauteur pour s’asseoir (les joueurs se posent rapidement sur le tapis et le dernier assis quitte la partie), de manière à éviter les chutes et les empilements dans le cas des arrêts intempestifs vers un tapis placé trop bas (au niveau des genoux par exemple).
  • Une voie individuelle où l’on propose un ballon de fitness pour le joueur avec une cécité complète (les autres joueurs pouvant également être équipés, selon l’intérêt de la situation, la taille du groupe et le matériel disponible). Lorsque la mélodie débute, le joueur aveugle se déplace dans la salle tout en gardant un contact manuel avec son ballon de fitness. Lorsque la mélodie stoppe, le joueur cherche à s’asseoir le plus rapidement possible sur son ballon, sa vitesse de réaction entrant en comparaison avec celle des autres joueurs présents sur l’espace de jeu.
  • Il est important de souligner l’intérêt d’un commentaire audio (du type reporter sportif) qui décrive les opérations collectives pour l’élève aveugle. En effet, faute de cette description sonore en continu, cet acteur particulier du jeu peut vite éprouver un sentiment de grand désarroi en cours de partie.

Soit un joueur avec une déficience auditive. Son besoin prioritaire repose sur l’accès à des informations visuelles discriminantes et signifiantes. De fait ce sont bien les supports et les codes « visuels » nécessaires qui vont alors guider les propositions d’adaptation. L’exposé des règles du jeu sur poster ou tablette, aussi bien que les conventions gestuelles adoptées pour les signaux de début et d’arrêt du jeu permettent ici l’activité et la pleine participation du joueur privé, plus ou moins sévèrement, du sens auditif.

Soit un joueur avec des troubles des fonctions cognitives ou un trouble autistique.

Ici, les besoins du joueur relèvent moins de la perception diminuée ou de la motricité entravée que de la mise en ordre de ce qu’il perçoit et de la décision à mettre en acte. L’aide humaine se montre alors déterminante pour pallier la limitation d’activité et/ou la restriction de participation. Toutefois, quelques pistes d’adaptations complémentaires de la situation ludique peuvent être expérimentées :

  • Afin d’alléger le nombre d’informations à traiter et de réduire l’éventail des choix possibles, un faible nombre de cibles peut être proposé sous la forme d’un espace protégé ; ou bien des cibles peuvent être « réservées ».
  • Dans cet esprit, un choix réduit de cibles à atteindre au sein du dispositif collectif peut être envisagé. Le choix entre deux cibles réservées, de couleurs différentes, peut ainsi être proposé pour le joueur autiste, tandis que ses partenaires se disputent un ensemble de cibles « neutres ».
  • On peut aussi penser à neutraliser une cible, toujours la même (forme et couleur), pour le joueur concerné de telle manière que son activité soit prolongée aussi bien pendant la partie initiale que lors des éventuelles sessions de repêchage.
  • Autre forme d’adaptation, celle qui consiste à expérimenter le renversement de la logique du jeu, c’est-à-dire non plus s’asseoir le plus vite possible, mais s’asseoir le plus lentement possible. La version « escargot » des Chaises musicales offre ainsi un supplément de temps appréciable pour le joueur dont les capacités d’interprétation et de décision sont perturbées ou entravées.
  • Autre forme de jeu intermédiaire pouvant également présenter de l’intérêt en tant que réponse au besoin de temps supplémentaire des jeunes troublés sur le plan cognitif, celle qui consiste à « geler » le jeu pendant quelques secondes à l’arrêt de la mélodie. La consigne « Freeze » transformant tous les joueurs en statues pendant une courte durée (de 3 à 5 secondes), chacun a le temps de prendre des informations supplémentaires sur la position des cibles et le choix le plus pertinent à opérer au signal suivant, le « Go », pour tenter de s’asseoir. Dans le cas du joueur porteur d’un syndrome autistique, le besoin d’accompagnement humain peut émerger afin de soutenir le processus de décision pendant les quelques secondes supplémentaires offertes par le moment du « Freeze ».

Les chaises musicales sous forme coopérative

Si le propos s’est beaucoup attardé sur la formule « opposition » de ce jeu des Chaises musicales, cette présentation rapide ne saurait oublier de mentionner l’intérêt collectif et éthique de sa forme coopérative. Sous cette forme, aucun joueur n’est éliminé, seul le nombre de cibles potentielles où se poser diminue au fil des tours. Ainsi, tous et toutes sont sommés de trouver des solutions inédites pour cohabiter et se poser ensemble sur des cibles toujours moins nombreuses. Debout ou en fauteuil roulant, voyant ou malvoyant, entendant ou sourd, intellectuellement brillant ou troublé, c’est donc ensemble qu’il faut trouver des solutions pour parvenir à se poser collectivement en équilibre sur un territoire progressivement restreint. Les Chaises musicales sur le mode « coopération » invitent à faire une expérience du vivre ensemble sous une forme ludique et imaginative. Une brève leçon d’humanité ?

Cet article est un supplément électronique au Contrepied HS N°12 – EPS, Sport et handicap – avril 2015