Les APPN, une drôle de famille !

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Rendant compte des débats du bureau sur cette question, Yvon Léziart revient sur le groupement d’activités en familles et notamment celle des APPN.

Il convoque Bernard Jeu pour étayer son point de vue.

Hétérogénéité de la famille des APPN ?

Le regroupement des activités sous le terme APPN interroge. Les familles sont des construits arbitraires souvent instaurés par les enseignants d’EPS pour structurer leur enseignement et assurer aux élèves une pratique équilibrée de différentes APSA.

Ainsi s’installent des modes de pensée, des façons de faire qui attribuent des vertus proches à certaines APSA et qui conduisent à chercher des généricités entre les APSA au détriment de leur spécificité.
La question des regroupements se pose donc dans cette caté- gorie récente des APPN.

Qu’est ce qui unit entre elles, les différentes activités concernées ?
En première analyse, ce qui rassemble ces activités est soit général, soit restreint.

Le point commun le plus couramment entendu est leur rapport à la nature. Position bien vaste. La nature c’est ce qui ne se pratique pas entre quatre murs, à l’intérieur d’un gymnase, et par extension, dans un établissement scolaire.
En ce sens, les murs d’escalade dans les établissements interrogent.

Le point commun est-il la non compétition ? (cf point précédent). Le point commun est-il la perception de soi, de son corps ? (d’autres APSA s’en chargent également).

Le point commun est-il la connaissance de soi par la maîtrise de l’épreuve au sens du risque (l’EPS peut-elle jouer ce rôle ?).

Le point commun est-il l’activité de pilotage, de soi, d’un engin ? Cette catégorie, comme la totalité des catégories créées, doit être étudiée pour en rechercher le sens commun.

Nous nous appuyons sur l’ouvrage de Bernard Jeu « le sport, l’émotion, l’espace » pour tenter cette approche.

Le sens des APPN : lecture de Bernard

Jeu Bernard Jeu a produit un ouvrage maintenant daté (1977) mais qui affirme encore toute sa puissance dans la compré- hension des phénomènes sportifs.

L’idée développée par cet auteur est que le sport est vivant, populaire, spontané. Il est émotion et passion. Il n’a pas été inventé au cours des âges sur décision des princes ou recommandations des philosophes. Il traverse avec assurance l’histoire.

Le sport est un héritage d’expérience accumulée, ramassée. Il s’inscrit dans le cadre de la culture populaire. C’est une forme d’inconscient collectif.
Le sport ainsi présenté trouve une autre dimension que celle que lui avait réservé les analyses positivistes souvent premières en activités physiques et sportives. Le décalage perçu entre le caractère vivant du sport et ce qu’en présentait les analyses scientifiques se réduit. Le sport est accès à la vie à l’émotion, à l’irrationnel. Le sport s’inscrit ainsi dans l’imaginaire collectif et est indissociable du développement de l’humanité.

Présentées en quelques mots la thèse de Bernard Jeu rend au sport sa dimension humaine et lui donne, comme pour toute action culturelle, une profondeur historique.

Bernard Jeu présente trois dimensions qui regroupent les engagements humains en matière sportive. L’épreuve, la performance et la compétition.

Centrons nous sur la première de ces dimensions.

Les activités d’épreuve
L’épreuve est, pour l’auteur, à prendre au pied de la lettre. C’est un milieu fermé hostile, difficile dans lequel l’homme cherche à pénétrer. S’éprouver, c’est chercher à conquérir les sommets et profondeurs du labyrinthe infernal. Lorsqu’il y accède, l’homme en revient régénéré.

Dans cette dimension, les émotions sont primitives. Elles se déversent à flot. Elles submergent l’homme. Il peut se faire engloutir par la force des émotions.

B. Jeu présente, sous le terme épreuve, les activités qui ont pour objet de poursuivre un exploit. « Elles permettent d’accéder au domaine du merveilleux de l’extraordinaire. Mais l’exploit c’est le risque. On baigne dans l’atmosphère du conte, celle de la mort côtoyée et menaçante ». Se confronter aux élé-ments « les affronter avec la volonté délibérée d’en revenir vivant et régénéré »…

Il distingue au sein de l’épreuve, trois sections : le voyage dans l’au-delà, les enfers féeriques et le tumulte intérieur de l’âme.
Les deux derniers domaines concernent plus la capacité qu’a l’individu à créer un état de grâce à faire oublier le présent, à créer le beau, l’éphémère et la capacité à approfondir les secrets de son être.

Le voyage dans l’au-delà
La première section, dans le cas de cette étude, nous intéresse plus directement car elle se rapproche en partie de la signification courante accordée aux activités physiques de pleine nature. Bernard Jeu ne décrit pas une famille d’APSA au sens classique du terme.
Il fait entrer dans cette section, ce qui appartient au voyage dans l’au-delà. « C’est affronter la mer, le ciel, la terre ou la montagne avec le risque réel d’un sacrifice humain, sa propre mort mais avec la volonté délibérée d’en revenir vivant et régénéré ». C’est la descente aux enfers. Les enfers du feu, les enfers du froid, les enfers aquatiques et subaquatiques, les entrailles de la terre et l’impossible et périlleuse ascension du ciel constituent les domaines des voyages en au-delà.
En d’autres termes, le yachting, la plongée, la spéléologie, l’alpinisme, le parachutisme sont les activités symboles de ce territoire.

Il y a donc, dans ces textes, l’idée d’un rapport symbolique à la mort. Il faut donc se faire peur, en se confrontant à la mer, à la montagne, aux entrailles de la terre, tout en sachant que le pire ne se produira pas.
Cette dernière dimension parait essentielle. Elle caractérise les pratiquants de haut niveau qui jouent avec le risque et le contrôlent. Un bon marin sait analyser les conditions météo et déterminer l’état de la mer à venir et agit en conséquence. Seuls les irresponsables naviguent sans connaître la mer. Il n’y a, dans ce cas, ni respect ni maîtrise des éléments donc aucun « jeu » avec les éléments.

Ambiguïté du sens moderne de ces activités
Cette quête de l’épreuve (s’éprouver pour en revenir régénéré) prend signification dans l’absolu. Sa détermination pratique est plus ambiguë.
Bernard Jeu le souligne lui-même. L’ambivalence provient du fait que l’héroïsme symbolise une fuite des contraintes, un abandon des contingences.
La confrontation aux éléments est personnelle et profonde. Elle est en même temps acceptation du conformisme « concession aux loisirs organisés… obéissance aux schémas des vacances heureuses ».
L’aventure est donc autorisée et supprimée en même temps.
La codification tue le sens de l’épreuve. Cette ambivalence conduit à présenter les activités de pleine nature comme des loisirs exutoires aux enfermements citadins. Ces activités témoignent de la recherche d’un retour possessif vers la nature.
Il y a donc pour l’auteur double sens à l’épreuve.
Le sens anthropologique de confrontation vitale de soi aux éléments et le sens sociologique d’un retour sécurisé et reconstituant vers la bonne nature.

En ce qui concerne les autres activités physiques et sportives associées au groupement des APPN, la course d’orientation, le kayak ou le canoë par exemple il ne les classe pas dans la catégorie des épreuves.

APPN : l’épreuve ? la compétition ? la nature ? la connaissance de soi ? …

Revenons à notre interrogation initiale et cherchons, à la lecture de l’ouvrage , ce qui peut donner une teneur commune aux pratiques d’APPN.

Où est le dénominateur commun ? Est-ce le risque maîtrisé ? Sans doute, mais la gymnastique est aussi partie prenante de cette maîtrise.
Est-ce l’absence de compétition ? Les pratiques des APPN ne rejettent pas toutes, la compétition. La course d’orientation repose sur la confrontation entre chaque individu ou entre des équipes.
Est-ce l’harmonieux développement de l’élève ? Sans doute, mais bon nombre d’autres activités physiques et sportives participent de ce projet ?

Il semble également que les contraintes qui pèsent sur l’éducation physique et sportive pour limiter les prises de risque en cours condamnent l’éducation physique à rarement, voire à ne jamais, confronter les élèves aux fondements de l’épreuve définie au sens de Bernard Jeu.

L’utilisation des APPN peut être comprise comme une propédeutique, une initiation à risque faible, (le mur d’escalade) aux futures épreuves auxquelles se confrontera l’élève dans sa vie d’homme. L’éducation physique préparerait l’élève soit à de stages groupés dans le cadre des enseignements, soit aux pratiques ultérieurs d’adultes.

Enfin, il, ne faut pas négliger dans le choix des APPN scolaire l’ambivalence dont il parle dans son ouvrage : Les APPN rejoindraient le « conformisme des loisirs organisés, obéissance aux schémas des vacances heureuses ». L’évasion héroïque, se déclinerait en simple loisir. Les APPN ferait sortir l’élève de son cadre scolaire de citadin enfermé entre quatre murs. Elles lui proposerait un retour vers la nature comme milieu favorable (et non à conquérir), « comme si l’on voulait oublier pour un temps, l’exil inhumain des villes ».
C’est l’écologie renaissante. C’est la fuite d’une civilisation pesante avec « retour possessif sur la nature ». Les exigences scolaires : règles de sécurité, organisation interne des enseignements dans les établissements rendent difficiles l’enseignement plein des APPN qui exigent : temps long de pratique, peu compatible avec l’organisation scolaire et rapport à la mort symbolique impossible à mettre en jeu à l’école. Pensées ainsi, les APPN assurent le retour vers la nature ce qu’en un temps l’on nommait le plein air. Ce retour possessif vers la nature ne se conçoit pas en terme de compétition. Le plein air instauré en éducation physique perd alors le sens anthropologique des activités de pleine nature. Il y gagne en préparation aux loisirs de plein air.

Si le sens anthropologique est absent le risque de formalisme est réel.
Ces activités deviennent-elle des activités de prise de conscience de la nature et de ses bienfaits ? Qu’y développe-t-on ? Quels apprentissages moteurs sont envisagés ? Quelles évaluations peut-on proposer ? Est-on dans une dimension qui place l’EPS comme discipline de retour à la nature et qui de ce fait minore l’importance des contenus à transmettre ? (ce sont les mêmes interrogations que celles que pose l’idée de la santé ou de la forme en EPS)