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Carine Guérandel, sociologue, analyse les pratiques sportives de jeunes de cités marquées par de forts stéréotypes de genre et la faible pratique physique des filles.

Quelles sont les différences d’engagement que tu observes entre les adolescents et les adolescentes des cités?

Dans le quartier où j’ai enquêté, les garçons et les filles pratiquent essentiellement dans des espaces de l’entre soi sexué.
Majoritairement, c’est football pour les garçons et danse hiphop pour les filles.
Sans les éloigner radicalement des sociabilités de «rue», la «fabrique des garçons» au club de football passe par le dénigrement des filles et de l’homosexualité, le respect de normes institutionnelles et l’intériorisation de comportements virils et du souci du corps.

Pour les filles, la constitution d’un entre soi féminin paraît essentiel pour s’adonner librement à une pratique mettant en scène un corps actif et esthétisé.
Elles intériorisent alors une féminité discrète qui leur permet de trouver leur place dans le groupe des pairs et l’institution scolaire.

Dans les contextes mixtes comme l’EPS, le poids du groupe de pairs pèse sur les comportements des jeunes en interaction qui doivent impérativement respecter l’ordre de genre (ses normes et ses hiérarchies).
Pour faire vite, les garçons doivent se montrer dominants et hétérosexuels et les filles doivent préserver leur réputation de «filles bien». Aussi, garçons et filles évitent généralement de travailler ensemble et s’organisent pour valider la supériorité physique des corps masculins en s’engageant de manière différenciée dans l’effort et les pratiques et en mettant en place des stratégies d’évitement distinctes.

Lors de situations mixtes, potentiellement sources de vulnérabilité pour l’un-e ou l’autre (proximité corporelle, défaite d’un garçon face à une fille, exposition de son corps comme en danse ou en natation), certain-e-s se désengagent progressivement, sans en avoir l’air.
D’autres plus visibles se montrent violents pour défendre leur réputation et prennent le risque d’une sanction institutionnelle radicale.

Quels sont les agents socialisateurs à l’origine de ces différences de comportement?

L’offre du quartier limite et oriente fortement les choix et les possibles puisqu’elle s’adresse préférentiellement aux garçons et s’organise autour de la sexuation des pratiques et de l’encadrement.
On voit également que les objectifs et les moyens axés autour de la question de la pratique pour les filles et les femmes ou de la mixité au niveau local ne constituent pas une priorité. Le travail de l’encadrant tend souvent à reproduire ces inégalités.

Les modalités d’organisation des pratiques, les pédagogies relationnelles valorisées et les modèles sexués incarnés sont autant d’éléments qui influencent les (des) engagements sportifs des jeunes.
La plupart des professionnels reproduisent les inégalités entre les sexes en prônant un traitement égalitaire sans réflexion pédagogique particulière et/ou en naturalisant les différences sexuées, notamment quand ils expliquent les écarts d’engagement et de performance entre les deux sexes comme le résultat d’une déficience des filles naturellement moins fortes et culturellement moins enclines à la compétition ou à l’effort physique (en raison d’une culture d’origine supposée qui freinerait leur engagement).

L’enseignement des pratiques sportives dans l’enceinte de l’école peut-il être un temps privilégié d’émancipation?

Le sport en milieu scolaire joue un rôle important dans le développement de la pratique sportive des filles. Il constitue aussi un espace protecteur pour les garçons les plus dominés. Mais parfois ce sont aussi les propriétés géographiques et sociales des lieux qui permettent de déplacer les lignes.
Un dispositif municipal extérieur au quartier amène, par exemple, les filles et les garçons à pratiquer ensemble et à interagir (flirt).

Sortir de la cité apparaît alors comme un moyen de s’éloigner des normes sociales de la culture des rues et de rencontrer l’autre sexe.

Autre exemple, la classe option du collège. Compte tenu des critères de sélection «élitiste» des élèves, elle permet aux unes de développer leur capital sportif et aux autres, d’assumer leur capital scolaire tout en évoluant dans un contexte où une fille s’impose comme la plus performante du groupe.
Mais là encore, le rôle des encadrants reste décisif.
Ceux qui s’intéressent à la problématique de la mixité (dotés en capital culturel, formés à la sociologie du genre et sensibilisés à la question au cours de leur socialisation familiale) proposent des contenus pédagogiques qui permettent de développer la pratique des filles et de déconstruire certains stéréotypes sexués.

Ouvrage : Le sport fait mâle, La fabrique des filles et des garçons dans les cités (PUG)

Cet article est paru dans le Contrepied hs N°16 – Septembre 2016 // EPS & Santé