L’histoire de l’EPS maltraitée … Et mal traitée !

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C’est un sentiment de regret voire de gâchis que suscite la lecture du nouveau livre de Jean-Luc Martin, au demeurant bien écrit et bien documenté, livre qui se propose de rendre compte de l’histoire de l’EPS de 1969 à 1981 sous le titre  » La conquête de l’EN « .


Pourtant, on ne peut reprocher à l’auteur d’avoir oublié, comme le font d’autres ouvrages, le caractère conflictuel de cette histoire et particulièrement, parmi d’autres acteurs, le rôle incontournable du SNEP dans les décisions prises pour l’EPS.
Par contre, ce qu’on peut lui reprocher, c’est une grave dénaturation du moteur de cette histoire.

Un a priori simpliste alors qu’il y a eu, sur le terrain et pendant douze ans, opposition radicale entre deux visions de la politique de l’EPS : démocratisation dans l’école ou pénurie assortie de divers expédients, l’action du SNEP est présenté comme la simple application de la « stratégie d’affrontement politique « du PCF, non sans quelques  » démonstrations  » scabreuses.

L’allusion à l’engagement politique personnel de la plupart des dirigeants du SNEP de l’époque (ce que personne ne nie) suffit apparemment à fonder ce postulat posé dès le départ par l’auteur et affirmé lourdement par son directeur de thèse dans la préface.

L’hypothèse selon laquelle des militants syndicaux auraient pu agir d’abord pour leur profession, y compris en cohérence avec leurs options politiques ne semble pas avoir effleuré l’auteur [[ » Peut-on réduire le rôle de Robert Mérand à celui de divulgateur de la pensée marxiste, un peu en somme comme si on accusait Jean Vilar d’avoir créé le festival d’Avignon uniquement pour divulguer l’idéologie communiste, parce qu’il l’était en effet ?  » écrivait déjà à juste titre J-P Clément dans une critique sévère du livre précédent de JL Martin portant sur la période 19581969 et publiée dans la revue STAPS.]]
Ainsi, l’auteur substitue un « schéma explicatif » politicien au véritable enjeu ; démocratisation ou non de l’EPS dans le service public scolaire. Et cette substitution d’un enjeu à un autre va permettre du même coup de blanchir les mobiles des gouvernements et de noircir ceux du syndicat. Mais n’est-ce pas l’objectif recherché particulièrement dans le contexte d’aujourd’hui ?

La conséquence d’une telle conception de l’histoire, c’est que la profession avec sa forte identité mais aussi sa diversité est quasiment oubliée et qu’il ne lui reste que le sort peu glorieux d’être forcément manipulée. La confiance massive dont bénéficie le SNEP dans les nombreuses élections professionnelles relève sans doute du mystère

Voici quelques exemples d’escamotage des motifs réels du conflit

  • la suppression des deux ENSEPS de juin 1969 qui permettait la récupération de 450 traitements d’élèves fonctionnaires et l’extinction d’un « foyer subversif syndical » au profit de la création d’un établissement administratif est présentée par l’auteur comme « une appréciable opportunité  » et « l’ire du SNEP « apparaît sans fondement crédible.
  • La première grève des enseignants d’EPS du 10 mars 1970 n’est pas citée ainsi que ses causes pourtant capitales pour l’EPS : – animateurs à l’école, transferts de postes avec mise en cause des 5 heures, vacations pour l’animation du sport scolaire, suppression des ENSEP, recrutement réduit au CAPEPS.
  • Selon l’auteur, la politique des Centres d’Animation Sportive aurait été un compromis pédagogiquement acceptable mais rejeté par le SNEP pour motif politique. Ainsi, on escamote le sens profond de la mobilisation de la majorité de la profession et de son syndicat qui a été orientée, non sans débats, simultanément sur deux fronts :pour l’ouverture de l’EPS à des contenus culturels et sportifs à l’opposé du formalisme académique et de l’EP de base, mais aussi contre toute forme de déscolarisation et  » d’animation sportive « . Ainsi, c’est l’enjeu pédagogicopolitique, clef de toute cette période et le pourquoi de l’échec des CAS qui sont rendus inintelligibles. Mieux, l’auteur croit devoir en rajouter en conclusion en affirmant que « selon certains témoins « (?) les syndicalistes du SNEP n’auraient pas été opposés à ce type de formule. (!)
  • De même, l’action menée pour défendre le sport scolaire avec deux fortes grèves, 7 décembre 72 et 23 janvier 73 aurait été détournée, puisque le 30 janvier « le conflit bascule franchement sur le terrain politique  » avec un appel du SNEP à voter pour les candidats du programme commun. Mais on ne saura pas que parallèlement à ce conflit précis qui va se continuer, il y avait antérieurement un très large mouvement de toutes les forces syndicales en faveur d’une alternative à gauche et même un appel du CNAL (Comité National d’Action Laïque) du 9 décembre.
  • Enfin, en 1981, le SNEP n’aurait eu aucun mérite dans le rattachement à l’EN puisqu’il ne pouvait être que réservé sur le candidat socialiste Mitterrand, lequel aurait intégré cette mesure dans les  » 110 propositions  » de son programme grâce à une commission du PS. Ainsi on escamote une exigence portée par toute la profession et que le SNEP avait fait intégrer dès le programme commun de 1972 et confirmer par les partis de gauche à chaque échéance électorale au point de publier en 1977 les modalités précises de cette intégration avec l’idée d’un  » Service EPS  » original au sein du MEN. Enfin, c’est le SNEP qui a veillé à la confirmation de cet engagement (l’Equipe du 6 mai) entre les deux tours des présidentielles et qui a fondé, sur cette exigence parmi d’autres, son appel à voter Mitterrand.[[Sur ce point, l’obsession de l’auteur va même l’entraîner dans une petite falsification : en écrivant  » le PC ne peut le 28 avril qu’appeler à voter Mitterrand et le SNEP l’imite le 30 avril « , or l’appel du SNEP est daté du 28 avril 16 h (bulletin n° 168) ; mieux ou pire le secrétariat du courant Unité et Action de la FEN dans lequel se trouve le SNEP a appelé dès le lundi 27 avril, … sans commentaire. ]]

Malaise

II y aurait encore beaucoup à dire sur les citations et témoignages dont l’habile montage provoque un certain malaise.
On pourrait aussi relever l’hostilité du ton, le vocabulaire caricatural qui fait sourire pour décrire le SNEP « imperméable, insensible, avec ses stratégies intangibles, ses anathèmes, etc. »
Au total, malgré les affirmations un peu trop appuyées d’objectivité et de rigueur, malgré l’invocation de cautions universitaires, c’est un mauvais service qui est rendu à l’approche politique de l’historie de l’EPS. La politique ne peut se réduire à cette vision manipulatoire de l’histoire !

La mémoire de la Profession mérite quand même d’être mieux respectée et surtout les futurs professeurs ont besoin d’analyses plus sérieuses pour comprendre les racines des enjeux d’aujourd’hui.