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Bruno Cremonesi, enseignant au collège Victor Hugo à Aulnay sous bois, joue sur le règlement pour confronter les jeunes aux problèmes authentiques de l’activité, des problèmes de même nature que ceux rencontrés par les joueurs de haut niveau. Ses choix vont nous surprendre et nous prendre à contre-pied  ! Il propose aussi des situations d’entraînement au tir tout en préservant le sens du jeu.

La proposition que je développe dans mon enseignement scolaire du handball et que j’expose en stage FPC est en décalage avec des pratiques d’enseignement plus habituelles. Elle suscite parfois la controverse, c’est tout l’intérêt.

Ce qui fonde ma proposition

Le jeu sur la règle que je présente poursuit le projet de permettre aux élèves de vivre une activité authentique qui les plonge dans les composantes fondamentales du handball.

La règle n’est pas un interdit
Des collègues défendent l’idée d’un intérêt éducatif et citoyen à la construction des règles. Je qualifierais cette approche de démarche « démocratique ». Pour que les règles prennent leur sens, la démarche vise à faire vivre aux élèves l’évolution règlementaire à partir des transgressions du règlement. Cette démarche qui n’est pas incompatible avec celle que je propose consiste surtout à construire le règlement fédéral, souvent sans tenir compte du niveau technique des élèves dans l’activité. La situation classique que l’on rencontre est illustrée dans le dialogue suivant :
– L’élève : « Monsieur, ce n’est pas juste il s’arrête et reprend son dribble, c’est n’importe quoi  ! ! ! »
– Le prof : « très bien, nous allons introduire une nouvelle règle pour réadapter le jeu. Maintenant, lorsque l’on dribble, on n’a plus le droit de repartir ».
Sous couvert d’un rééquilibrage du rapport de force, l’objet de cette démarche est de reconstruire le règlement fédéral habituel sans tenir compte des savoir-faire des élèves. En revanche, je fais le choix de positionner les règles comme des pouvoirs d’agir dans le respect de l’égalité des chances, comme des occasions d’inventer plutôt que comme une liste d’interdits. Il s’agit de faire en sorte que les élèves accèdent au sens des règles proposées mais aussi à ce qu’elles ouvrent comme possibles : alternatives de choix et acquisitions techniques.

Le jeu : situation privilégiée pour construire des techniques

Très souvent dans les leçons, se succèdent quelques exercices pour travailler la passe et le tir, des situations pour que les élèves construisent le démarquage et enfin des matchs à thème, ou des matchs à 6 contre 6. La technique est très souvent envisagée comme la solution aboutie que l’élève doit s’approprier et conçue comme forme corporelle. A l’inverse, je propose par exemple un jeu dont les règles contraignent les élèves à construire la passe comme la réponse à un problème posé dans une situation de jeu et non comme une forme corporelle à reproduire.

S’éloigner des règles habituelles du handball pour poser les vrais problèmes

Pour jouer il faut toujours un but et une règle. L’intérêt d’apprentissage d’un jeu réside dans le décalage entre les contraintes posées pour atteindre un but et les ressources dont dispose l’élève. La version du handball que je propose dans une première séquence est épurée, les règles sont minimales. Au risque de s’éloigner des formes habituelles du handball, les élèves sont placés dans une situation complexe de jeu de handball de course en supprimant la difficulté technique de la maîtrise du dribble puisque celui-ci n’est pas obligatoire. Ce premier jeu va évoluer en fonction des prestations des élèves. Ils pourront être associés à l’évolution règlementaire même si cela ne constitue pas le cœur de la séance.

«Je fais le choix de positionner les règles comme des occasions d’inventer plutôt que comme une liste d’interdits.»

Le hand de course

Dispositif

Temps de jeu de 4 minutes, des équipes de 3 à 4 joueurs par affinité sans gardien. La cible est constituée de deux grands plots, une cage de 2m x 1,5 m ou un tapis dima. 3 mini terrains d’environ 20 m x 13m. Une zone de 3 m.
Pour l’organisation se reporter au schéma dans les « petits riens ».
L’organisation des rotations des rencontres se fait sur le mode : montante/descendante. Ce système de compétition permet de confronter les équipes à des niveaux de jeu différents en perdant le moins de temps possible dans les changements de terrains.
But : Marquer dans la cible adverse avec le ballon
Règles : 3 contre 3
Droits du porteur de balle : il se déplace avec la balle en main autant qu’il le souhaite. Le dribble n’est pas obligatoire ; courir avec le ballon est donc possible.
Droits du défenseur : il peut empêcher la progression du ballon avec son corps ou intercepter la balle.

L’activité des élèves dans ce jeu

Nous identifions 3 profils de joueurs, les « traverseurs » coureurs, les « traverseurs » dribbleurs, les immobiles. Des PB utilisent efficacement la possibilité de se déplacer le ballon en main sans dribbler et donc ils se déplacent rapidement vers le but adverse. Les défenseurs ne savent pas comment agir, ceinturent le porteur du ballon, reculent face au porteur du ballon. Il y a souvent plus de 4 buts par match pour les équipes en réussite.

Aménagement et développement de cette situation

Ce premier jeu proposé devient trop facile pour l’attaque. La défense se trouve en difficulté et risque donc de réagir violemment ou de se désintéresser de la récupération du ballon. Les questions de l’aménagement du jeu se posent. Sur quoi pouvons-nous jouer pour maintenir l’intérêt et l’authenticité du jeu : les limites du terrain et de l’espace ; le pouvoir des défenseurs et des attaquants ?

Des pouvoirs nouveaux pour les défenseurs
Souvent il est proposé de modifier le droit des joueurs en attaque en limitant le déplacement. Je prends le contre pied et retiens plutôt de conserver le droit des joueurs attaquants en leur gardant la possibilité de courir avec la balle et donc de favoriser l’accès à la cible adverse mais de donner plus de pouvoirs à la défense : si le défenseur touche le PB, il récupère le ballon.
En supprimant le dribble, on veut lever une difficulté importante chez les joueurs débutants, celle de réussir, tout en driblant, à lire le jeu et le positionnement des joueurs. Cet aménagement vise à favoriser l’initiative par une liberté de mouvement. Les joueurs peuvent rechercher un jeu rapide vers l’avant en cohérence profonde avec le but de l’activité.

L’introduction du gardien
Si la zone qui protège la cible dans laquelle on peut voler pour tirer existe dans le jeu, une caractéristique déterminante en référence au handball est absente : il manque le gardien. 

Donc on introduit un gardien et s’il touche la balle, le but n’y est pas. La distance courte entre la cible et le tireur (3 m) doit permettre aux élèves d’explorer assez rapidement les tirs par contournement : au lieu de tirer en puissance (tir de percussion), le tireur va tenter de placer le ballon en dehors des segments du gardien. Cela a pour conséquence aussi de favoriser le passage des joueurs dans les buts.
Le jeu sur les règles cherche ici à rééquilibrer le rapport de force tout en mettant d’emblée les élèves dans une activité handball en leur permettant le développement d’une intention : l’accès rapide à la cible.

Comment l’activité des joueurs est-elle transformée avec ces nouvelles règles ?

L’accès facile à la cible place souvent les élèves en situations de tirs et leur permet d’atteindre une émotion relative à cette activité : marquer un but.
Plus spécifiquement, du point de vue des aspects tactico-techniques, des joueurs continuent à traverser pour prendre de vitesse les défenseurs. Des « contourneurs » de défenseurs recherchent l’espace libre, ce qui est fondamental dans la construction technique d’un joueur. On voit également des défenseurs qui ne reculent pas mais vont sur le porteur du ballon pour agir car ils possèdent beaucoup de pouvoirs. Ce qui est d’ailleurs un principe de défense du haut niveau. Mais la densité de joueurs près du but est peu importante, ce qui en facilite son accès.
Les tireurs jouent sur 2 possibles : soit ils tirent placé, là où n’est pas le gardien ou proche des poteaux, soit vite pour surprendre le gardien.

Finalement, le jeu sur les règles fonctionne ici comme des ressources autour de deux phases de jeu que l’on retrouve en handball, y compris à haut niveau : la montée de balle rapide avec une faible densité de joueurs. C’est une phase de jeu dans laquelle on cherche à marquer avant que la défense ait réussi à se réorganiser pour protéger leur cible.
Le duel tireur/gardien : ce jeu confronte souvent (15 à 30 fois sur un match) un tireur face au gardien

Quelques variantes pour continuer à faire encore évoluer ce jeu

Variante n°1 : agir sur le mode de touche
Le défenseur doit toucher l’attaquant à deux mains. Cette règle nécessite du défenseur qu’il se place en face de l’attaquant.

Variante n°2 : agir sur la liberté d’action du porteur de balle
L’attaquant porteur du ballon (PB) est invincible 3 secondes lorsqu’il est arrêté.
Cette invincibilité de 3 secondes permet au PB de conserver le ballon mais aussi d’avoir le temps de lever la tête, d’observer où se situent ses partenaires et de faire une passe avec une pression temporelle adverse plus faible. Certains élèves, une fois arrêtés, attendent puis repartent en courant. Ils ne s’arrêtent pas forcement en fonction de l’adversaire. D’un jeu rapide vers l’avant dans la variante précédente, on peut avoir un jeu qui se ralentit et dans lequel le nombre de tirs diminue.

Variante n°3 : agir sur les possibilités d’action du porteur de balle
Touché, l’attaquant perd son crédit d’actions. Le PB doit faire une passe ou un tir.

Des situations d’entraînement pour acquérir des techniques de tir

Il est toujours question ici d’amener les élèves dans une dialectique entre contrainte et ressource pour traiter des problèmes, mais les effectifs sont réduits.
L’hypothèse est la suivante : les jeunes joueurs ont des difficultés dans le tir et dans l’enchaînement dribble-tir. Le duel au gardien est souvent défavorable au tireur. Les tireurs n’ont pas la vitesse nécessaire pour surprendre le gardien adverse ou manquent de puissance dans le tir.

Ce qu’il y a à apprendre

Enchaîner : récupérer vite le ballon après le tir, dribbler, tirer. Il s’agit d’apprendre à prendre de la vitesse dans le tir et voler au dessus du camp adverse pour se rapprocher de la cible.
Quand cet enchaînement d’actions est maîtrisé, on pourra faire évoluer la situation.

Le goal à goal

Dispositif

Le terrain de hand est divisé en deux dans le sens de la longueur. De part et d’autre, des cibles sont matérialisées à l’aide de tapis de gym Sarneige debout ou de 2 plots qui délimitent des cages de 2 m de largeur sur 1 m 50.
Il n’est pas nécessaire de tracer des touches, les cibles vont orienter les joueurs
Les élèves sont regroupés par 3. 2 jouent, le troisième arbitre.
Matchs en 1 x 1.
But du jeu: Marquer un but dans la cible adverse.
Règles du jeu : Droits du PB: il peut s’avancer jusqu’à à la ligne médiane et tirer en suspension mais ne peut pas la franchir, il ne peut donc se déplacer dans le camp adverse. Il peut se déplacer balle en main, donc en dribblant, comme il veut.
Droits du défenseur: il peut protéger sa cible en étant gardien ou en gênant le tireur depuis sa moitié de terrain.
Temps de jeu : Le jeu est intensif et le temps de récupération est très court. (matchs en 3 tiers temps de 1’30, récupération entre les tiers temps : entre 10 et 30 secondes, récupération entre les matchs: 3 min

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L’activité des joueurs
Certains sont encore très statiques : ils mettent du temps à récupérer le ballon après le tir de leur adversaire, montent doucement et n’utilisent pas le retard du gardien.
D’autres commencent à percevoir le retard du gardien, mais ils ne déclenchent pas leur tir au bon moment : soit trop tôt, donc encore loin de la cible, soit trop tard, donc le gardien est replacé.
D’autres enfin ont compris comment le gardien se replace : soit ils tirent tôt en lob, mais c’est peu précis, soit ils tentent de le prendre de vitesse en accélérant leur course et en arrivant vite.

évolution du goal à goal.

L’évolution vise à placer les élèves dans une situation où ils vont devoir se confronter à un défenseur déjà placé devant eux, donc à choisir entre 2 alternatives : dribbler/passer.

Le jeu du 2 contre 1+1

Dispositif

Mêmes terrains
Zones de 3m
Engagement du gardien.
But du jeu : Marquer un but dans la cible adverse
Règles du jeu
PB : idem
Défenseurs : l’un garde le but, l’autre ne peut pas défendre dans le camp adverse.
Temps de jeu : idem.
Organisation des rencontres : montante/descendante
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La densité de joueurs devient alors plus importante dans le demi-terrain adverse. Les attaquants vont devoir réaliser des choix différents. Nous conservons la logique de faire progresser la balle le plus rapidement possible jusque dans le demi terrain adverse puisque les défenseurs ne peuvent y agir, par contre les attaquants vont devoir plus systématiquement résoudre le problème de passer un défenseur et se confronter à l’alternative : dribbler ou passer.
La réduction du pouvoir des attaquants se fera en fonction du nombre de buts marqués sur la séquence de jeu. Nous proposerons alors d’introduire la règle suivante : un dribble tous les trois pas.
Les élèves sont confrontés à une grande quantité de pratique et de répétition des problèmes : on compte de 60 à 90 tirs sur 3 matchs et environ 40 confrontations en 2 x 1+1.

Conclusion

La modification des règles ne poursuit pas le seul objectif de permettre aux élèves de reconstruire le règlement de l’activité avec l’hypothèse que cela leur permette d’en reconstruire le sens. Ma démarche vise aussi à modifier les règles en fonction des techniques construites et à construire par les joueurs et en fonction du rapport de force.

Par ailleurs, des situations d’entraînement à effectifs réduits préservant un rapport d’opposition et se situant dans la logique des règles mises en œuvre plus haut permettent une grande quantité de pratique et de répétitions indispensables à l’acquisition de techniques.

Cet article est paru dans Contrepied HS N°6 – HandBall – Mai 2013