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En moins de trente ans, le badminton a connu un engouement quasi inégalé pour une pratique sportive, tant sur le plan fédéral que sur le plan scolaire. Pourtant, sa notoriété « sportive » serait encore à construire, notamment ou paradoxalement du fait de sa dimension ludique ? Ce bref détour historique auquel nous convie Julie Graal*, tentera d’appréhender la trajectoire spécifique d’une activité désormais incontournable.

Le badminton, une pratique scolaire ?

L’actuel président de la Fédération française de badminton, Richard Rémaud, pense que la discipline n’en serait pas aujourd’hui à ce stade de développement si les enseignants d’éducation physique et sportive (EPS) ne se l’étaient pas appropriée. Alors qu’au moment de la création de la Fédération, fin 1978, l’activité ne compte que 2 576 licenciés, aujourd’hui le chiffre se porte à 179 431 badistes, avec une progression record de 443 % entre 1987 et 1999. Cette expansion, débutée dans les années 1980, s’accompagne de son intégration scolaire. En effet, très rapidement, quelques enseignants sont séduits par le caractère ludique, énergétique et compétitif du badminton, y percevant également une activité propice au développement des ressources informationnelles et décisionnelles. La « contagion par le virus du volant » est alors lancée. Preuve en est la multiplication des associations sportives scolaires proposant l’activité et la progression de 30 % par an du taux d’élèves la pratiquant à partir des années 1990. Il est ainsi le « premier sport scolaire » depuis 3 ans, avec 168 435 pratiquants en 2011.

Aux origines était le jeu de volant…

Ancré dans les mœurs et traditions populaires asiatiques et américains, le volant s’échange depuis plusieurs siècles à l’aide du pied, de la main, d’un battoir ou d’une raquette, avec pour seule règle de ne pas le faire tomber à terre. En France, on le retrouve dans la cours du Roi François 1er sous le nom de « coquantin ». Ouvert aux femmes, jeu sans véritables enjeux compétitifs, le volant s’inscrit principalement dans une dimension ludique et délassante. Dérivé de ces jeux de volant, on considère que les premières parties de « badminton » se déroulent en Inde, où il est pratiqué par les militaires britanniques. La rupture avec le traditionnel jeu de volant tiendrait du fait de l’introduction d’un filet, séparant deux camps opposés tracés à la craie. Il s’agit alors de faire en sorte que les adversaires ne puissent renvoyer le volant. Importée sur le territoire anglais, l’activité se voit progressivement codifiée. Le journaliste Henry Jones propose ainsi un premier règlement, en 1876. Il précise que le nombre de joueurs varie de quatre à huit, sur un terrain en forme de sablier aux dimensions standardisées, et que la première équipe marquant 15 points remporte la partie. La naissance institutionnelle de l’activité date de 1893 avec la création de la Badminton Association of England. En France, il apparaît à Saint-Servan, en 1898, où J.E. Jones, répétiteur de l’armée britannique, y fait installer des courts couverts. Malgré cette initiative, l’activité reste confidentielle, et même si, en 1907, un autre foyer de pratique se retrouve à Dieppe, le badminton n’existe majoritairement qu’au sein de cercles fermés. La Première Guerre Mondiale met un frein à ces prémices de développement, et l’entre deux guerre ne voit pratiquer que très peu d’initiés, qui sont surtout des joueurs de tennis à la recherche d’un délassement pour l’hiver. à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, le badminton végète sous l’égide de la Fédération de Lawn-Tennis (FFLT), à laquelle il est rattaché. Cette situation évolue par la volonté de dirigeants de s’émanciper du tennis pour développer l’activité, chose faite en 1978. Outre cette reconnaissance institutionnelle en France, son entrée aux Jeux Olympiques de Barcelone en 1992, après avoir été sport de démonstration à Séoul en 1988, semble conforter la place du badminton dans le paysage sportif.

Une connotation ludique (trop ?) ancrée, une caractéristique sportive insuffisante, une dualité mal assumée ?

Malgré cette « sportivisation », la représentation du Bad comme
jeu de volant, « sport de plage », d’échanges, perdure et constitue pour certains un obstacle à l’affirmation du badminton comme « sport ». De fait, « sport » à part entière, il demeurerait entièrement à part, ayant le quasi-monopole du jeu, dépossédant en quelque sorte ainsi tous les autres sports de ce but, les renvoyant à un genre sportif amputé du jeu. Les premiers ouvrages, la presse, soulignent toujours la singularité récréative du badminton. C’est même cette identité qui expliquerait son attractivité tant auprès des filles que des garçons. « Propédeutique au tennis », il est perçu comme une activité plus d’adresse que de force et facile d’accès. « Facilité » qui mériterait sans doute d’être étudiée tant on pressent qu’elle peut constituer une façon d’éclairer et de comprendre la nature particulière du badminton. Henri Louchart pense même que le caractère ludique de l’activité, a été, dans les années 80, un des principaux freins à son intégration scolaire. Alain Citolleux, dirigeant et secrétaire de la FFBa va même jusqu’à écrire dans la revue EPS que le badminton doit rompre avec le jeu de volant et regrette qu’il souffre de cette représentation encore dominante, alors que selon lui, la sportivisation enrichit le badminton par l’extrême rapidité et l’engagement physique requis.

Un règlement peu évolutif 

Depuis les premières codifications, les aspects réglementaires n’ont que peu évolué. Le volant est par exemple d’emblée normalisé et doit respecter un vol régulier variant de moins de 20 cm sur une distance de treize mètres. Néanmoins, le système de comptage des points a vu plusieurs remises en questions. Depuis la naissance du badminton, les rencontres se disputaient en 15 points au meilleur des trois sets, le joueur devant posséder le service pour marquer. En 1997, a été expérimenté le comptage en 5 sets de 9 points, puis en 2001, en cinq sets de 7 points. Ces expériences étant jugées peu satisfaisantes, il faut attendre 2006 pour voir arriver le scoring direct, en « tie-break », avec des rencontres qui se déroulent en 2 sets gagnants de 21 points. Cette évolution semblerait conduire un à jeu plus offensif, la durée des matches étant sensiblement réduite.

L’évolution du jeu : du beau geste à la recherche de vitesse

Du fait de sa proximité avec la FFLT, les techniques employées jusque dans les années 1960 sont voisines du tennis : les gestes sont amples et la plupart des frappes se font main basse. Le niveau français évolue peu, accusant un retard par rapport aux autres nations. Les Malais s’imposent dès les années 1950, vitesse et dextérité créant la rupture avec « les frappes gracieuses des vieux maîtres du badminton ». Cette logique modifie alors les conceptualisations de l’entraînement. Aller plus vite que l’adversaire pour créer la rupture devient un leitmotiv. L’apparition de « sauts-chinois », du coup droit autour de la tête, du smash sauté, sont des évolutions techniques témoignant de cette intention de prendre tôt le volant. Les évolutions matérielles, particulièrement des raquettes, semblent participer à ces transformations du jeu vers un gain de vitesse. L’acier remplace le bois, de nouveaux matériaux tels l’aluminium, le graphite, le titanium, permettent de diminuer le poids des raquettes et d’effectuer des rotations d’avant-bras de plus en plus rapides. Les formes des cadres sont conçues pour gagner en aérodynamisme. Finalement, avec l’intention de rompre l’échange, d’augmenter la pression temporelle pour l’adversaire, il semble que le badminton soit désormais loin du jeu de volant.

Des questions s’imposent à l’issue de ce trop bref parcours historique. Pourquoi le badminton français n’a pas d’emblée suivi les évolutions observables dans d’autres pays ? Le devenir « sportif » de l’activité impose-t-il d’opposer tradition et modernité, jeu de volant et badminton et de penser cette « contradiction » comme indépassable pour le développement même de ce sport ?

Article paru dans le Contrepied Hors-Série n°8 – Badminton