EPS en maternelle : À propos de rivière aux crocodiles et autres parcours…

Par Colette Catteau. Si l’EPS est enseignée quotidiennement à l’école maternelle, ses contenus, démarches et gestion de classe sont à interroger. Colette Catteau, conseillère pédagogique, a travaillé au sein de l’équipe Escol 1. Elle analyse les pratiques usuelles et ouvre des pistes vers des pratiques d’EPS qui conjuguent transformations motrices et «devenir élève»


Parce que les enfants sont petits, les pratiques de l’école maternelle très souvent cherchent à «habiller» les situations proposées pour rendre celles-ci plus «ludiques» ou plus «motivantes».
L’intention est louable, mais cet «habillage» sous-estime d’une part le désir d’apprendre chez les enfants comme moteur suffisant et crée d’autre part de la confusion entre la tâche elle-même et ce qu’il y a derrière, c’est-à-dire les enjeux d’apprentissage qui vont au-delà de la simple réalisation de cette tâche. Exemple avec «la rivière aux crocodiles» en athlétisme où l’on pense inciter les élèves à franchir une rivière en leur racontant qu’il y a des crocodiles. La situation athlétique, où c’est la recherche d’une performance, sauter le plus loin possible, et le dépassement de soi qui sont à l’œuvre et qui fonctionnent très bien avec de jeunes élèves, devient pour certains une situation de jeu symbolique où l’on joue à faire semblant. L’aspect ludique donné à la situation vient alors parasiter la tâche et transforme radicalement des enjeux initiaux le plus souvent non identifiés comme tels par l’enseignant.

Cette confusion renvoie à des conceptions de l’élève, des savoirs et de l’école qui sont rarement explicitées.

Être élève c’est comprendre qu’il y a quelque chose à apprendre et pas seulement quelque chose à faire.

Or, en EPS, la mise en mouvement des élèves est souvent confondue avec l’apprentissage et la simple fréquentation de dispositifs matériels considérée comme suffisante à l’élève pour acquérir de nouvelles compétences (en référence à «la pédagogie des situations» initiée dans les années 70).

On peut donc «faire» sans être en «activité», (en référence à A. Léontiev, dans le sens d’activité intellectuelle, mentale, de mouvement de pensée liée à un projet ).
Cette activité n’est pas simplement la manifestation d’une action concrète ou d’un mouvement du corps, elle est aussi déploiement d’un pouvoir sûr, d’une volonté, d’un désir de comprendre.

La confusion vient également de ce que nous avons nommé au sein de l’équipe Escol, l’invisibilité des savoirs.
La non identification par l’enseignant de l’objet d’enseignement de la situation mise en place, a pour conséquence sa non nomination du côté des élèves et a à voir, avec les apprentissages non faits: même si les élèves répondent correctement aux tâches demandées, ils ne sont pas pour autant confrontés à des «acquisitions transformatrices», c’est-à-dire en capacité de comprendre ce qu’il y a derrière ou au-delà de la tâche et dans la capacité de réinvestir dans une tâche ultérieure, puisqu’ils n’ont pas appris…

Or, si ce travail de prise de conscience des enjeux n’est pas pris en charge par l’école alors il s’effectue au sein des familles qui sont les moins éloignées de la culture scolaire.

L’école ne profite pas alors à tous de la même façon, et c’est la reproduction, voire le creusement des inégalités.
Les pratiques pédagogiques en éducation physique n’y échappent pas et la difficulté de passer du «faire» à une mise en activité liée à un «apprendre» y est peut-être encore plus prégnante.Un autre problème professionnel vient du fait que les enfants ne sont pas autonomes et qu’il y a besoin de les sécuriser et de les cadrer. Cela donne lieu à des organisations de classe récurrentes telles que l’incontournable «parcours» en EPS ou les ateliers en classe sans que l’on ne sache plus bien pourquoi on le fait et d’où cela vient.

«La non identification par l’enseignant de l’objet d’enseignement de la situation mise en place, a pour conséquence sa non nomination du côté des élèves et a à voir, avec les apprentissages non faits»

Or, le type d’aménagement proposé, le mode de circulation des élèves, les consignes et le mode d’intervention de l’enseignant font apparaître des manières de faire plus ou moins favorables à une réelle mise en activité des élèves.
C’est ainsi par exemple que pour les activités dites de locomotion en relation plus ou moins lointaine avec l’activité gymnique, l’organisation sous forme de parcours (éléments matériels mis bout à bout où les élèves partent tous du même point d’entrée et sortent au même point de sortie) ou sous forme de circuit (éléments matériels distincts les uns des autres que les élèves suivent dans l’ordre) engendre des consignes essentiellement liées à l’organisation et la circulation des élèves.
Nous assistons alors à une simple «mise en présence» de l’élève avec des dispositifs sur lesquels il se meut sans enjeux cognitifs clairement identifiés. L’élève apprend essentiellement à attendre son tour sagement.
Nous sommes loin de l’émancipation.

«Il s’agit alors de définir en fonction des élèves un objet d’apprentissage, qui va permettre d’aller au-delà de ce que l’on sait faire, qui va nécessiter plusieurs essais avant d’y arriver…»

Pour sortir de ces situations de «consommation de dispositifs», s’appuyer sur la didactique des activités physiques et sportives permet de donner des repères à la fois à l’enseignant et aux élèves. Il s’agit alors de définir en fonction des élèves un objet d’apprentissage, qui va permettre d’aller au-delà de ce que l’on sait faire, qui va nécessiter plusieurs essais avant d’y arriver…

Les consignes sont alors liées aux contraintes de l’activité physique elle même et formulées par l’enseignant sous forme d’exigences. Il constitue l’objet d’enseignement c’est-à-dire ce que l’enseignant doit avoir en tête quand il prépare sa séance (aménagement matériel, exigences, variables, prolongements etc.) et qui va le guider dans ses interventions au cours de la séance (consignes, but de l’action, critères de réussite, obstacles et réaménagements en fonction des réponses motrices…)

L’identification claire de ces objectifs permet aux élèves d’investir en retour ces situations avec un recentrage de l’activité cognitive vers un but identifié en termes de savoir. La gestion de la classe n’est plus ce qui organise l’enseignant-e, les élèves se déplacent librement ou par rotations d’ateliers en fonction de leur projet d’apprentissage. Au-delà donc de la mise en mouvement il y a mise en activité des élèves qui, confrontés à des exigences évoluent d’une séance à l’autre, peuvent progressivement comprendre ce qu’il y a à apprendre et non pas seulement à faire.Pour cela, il est nécessaire d’avoir une connaissance des activités physiques et sportives. Il ne s’agit pas, bien entendu, de copier les pratiques sportives telles qu’on peut les voir à la télé ou ailleurs mais c’est avant tout permettre aux jeunes élèves de vivre émotionnellement la signification spécifique à chacune d’elle d’une part et d’être confrontés au problème fondamental qu’elles posent d’autre part.

Tout en conservant leurs caractéristiques essentielles, c’est l’appui sur ces APSA, leur analyse et leur adaptation à l’âge des élèves qui va permettre aux enseignants de définir des objets d’enseignement plus pertinents et au plus près des besoins, des représentations des élèves, liés au développement moteur du jeune enfant. Continuer à organiser les séances par rapport au «gros maté-riel» ou au «petit matériel» (comme une vidéo proposée par un conseiller ministériel le faisait encore récemment) ou en s’appuyant sur des capacités très générales telles que l’équilibre, l’adresse, ne facilite pas la tâche des enseignants les privant d’une vue d’ensemble et d’ un cadre de référence. Au contraire pouvoir s’appuyer sur la didactique des activités physiques et sportives avec des exigences et des contraintes liées à ces activités, est à la fois une nécessité pour que les élèves donnent du sens aux apprentissages et une aide pour les enseignants, dans l’élaboration d’objets d’enseignement.
Cette meilleure visibilité des savoirs permet en retour aux élèves d’expérimenter et de construire les éléments d’une culture commune, l’école restant pour nombre d’entre eux le seul lieu où cette expérimentation et cette construction sont possibles.

En effet, de la même manière que les enfants n’arrivent pas avec le même bagage langagier et culturel à l’école, il est toujours important de rappeler qu’ils ne sont pas égaux face à la culture des activités physiques: selon les représentations et milieux familiaux, il y a des différences de rapport au corps, une plus ou moins grande acceptation des manifestations motrices et de possibilités d’expérience selon les représentations et les milieux familiaux.

Il y a aussi l’inégalité dans les accès à cause du coût mais aussi des équipements, de l’environnement géographique. L’école est le seul lieu qui permet de construire du commun.

Et si le rôle de l’école est bien de viser le développement des potentialités physiques, cognitives et relationnelles de tous les élèves,dans le cadre d’une culture commune, alors la confrontation au patrimoine culturel que constitue l’ensemble des pratiques physiques sportives et artistiques (APSA) est bien l’affaire de l’éducation physique à l’école y compris à la maternelle !

Cet article est paru dans le Contrepied Hors-Série n°14 – Janvier 2016 – « EPS à l’école primaire »

  1. L’équipe ESCOL (éducation, Scolarisation). Elle a étudié les inégalités sociales de réussite scolaire et la manière dont elles se construisent. Université Paris 8 et Paris-est Créteil.[]