Une conception articulée de la technique et de la tactique

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Membre du groupe fédéral des moins de 12, chargé de la formation à la FFHB, François Rongeot revient sur le lien entre technique et tactique. Une conception qui conduit à sortir des séances passes, dribbles, attaque, défense et match…

Nous avons choisi d’accorder une importance toute particulière, mais non exclusive, à la formation perceptive et décisionnelle du jeune joueur de handball, persuadés que dans la tranche d’âge des moins de 12 ans, parmi les 4 ressources fonctionnelles (Bio mécanique, énergétique, Affectif et relationnel et perceptif et décisionnel), elle était la plus pertinente à développer.
L’entrée dans la formation par cette ressource bio-informationnelle conforte une représentation de l’activité handball qui place le joueur dans un système relationnel complexe et qui le confronte dans le jeu à des situations sans cesse changeantes auxquelles il doit s’ajuster, voire anticiper pour faire évoluer le rapport de force en sa faveur. Elle vise le développement d’une pensée tactique autonome.

Cette option d’entrée en formation ne signifie par pour autant que les autres ressources influençant la conduite du joueur sont exclues des visées de l’entraîneur. Au contraire l’articulation entre les diverses composantes est source d’innovation.
Interroger par les entraîneurs sur l’orientation proposée, il est courant d’entendre la remarque suivante, « on est d’accord sur le plan tactique, mais comment envisagez vous l’articulation technique/tactique ?  » Que recouvre cette idée d’articulation, en quoi procède t-elle de l’innovation, quelles modifications des représentations suppose-t-elle et quelles sont les conditions à mettre en œuvre pour effectivement permettre au joueur de passer d’une activité tactique à une activité technique au cours des séances de formation.

Une meilleure articulation entre tactique et technique.

L’activité adaptative du joueur de handball ne peut se comprendre que par une analyse du système de contraintes avec lequel il interagit. Ces contraintes induisent une activité simultanée de lecture et d’action. Ainsi choisir une entrée par le pôle perceptivo décisionnel pour la formation, parait en cohérence avec la spécificité du handball et les difficultés auxquelles il confronte le pratiquant. Cette conception de l’activité adaptative nous conduit à un postulat : l’activité tactique, celle qui débouche sur la décision, et l’activité technique, celle qui met en œuvre les modalités de concrétisation de la décision ne sont pas des entités séparées.
II convient même d’envisager un processus d’interdépendance complexe et continu. Le joueur ne peut construire de l’information que par appui sur des connaissances et des savoir-faire déjà disponibles. Ainsi « savoir quoi regarder pour bien percevoir» est dépendant de ce que le joueur sait sur le jeu et de ce qu’il sait faire.
– Système de repères
– Connaissances
– Savoir-faire disponibles

Les savoir-faire participent donc à la décision et cette interdépendance ne prend pas fin avec la mise en œuvre de la décision choisie par le joueur. Les effets de cette décision dès leurs premières manifestations transforment la situation dans le sens envisagé ou non. Le résultat des actions engagées induit donc en continu le processus des relations entre activité tactique et ajustement technique. Activité technique et activité tactique sont intimement liées.

Il n’est pas possible de jouer au handball sans savoir faire des passes ?

L’analyse des séquences de formation « classique » fait apparaître une autre logique. Celle qui consiste à privilégier l’acquisition de savoir faire au préalable pour prétendre pouvoir jouer ensuite. Il serait par exemple impossible de jouer au handball tant que les joueurs ne savent pas faire de passes et les difficultés premières auxquelles se confronte le joueur seraient des problèmes techniques ! L’entraîneur entretien des relations dissociées entre activité tactique et technique.

Les séances sont organisées à partir d’une succession quasi- immuable (Maurice Portes, 1993):
– de situations construites pour favoriser l’acquisition de savoir-faire gestuels,
– de situations d’opposition collective, mettant en jeu les savoir faire dans un contexte d’affrontement.
– de situation de jeu « total » pour mesurer les acquis.

Nous retiendrons l’idée, que traditionnellement, ce qui est donné comme la technique n’en est en fait qu’un « reflet formel limité » [[René Garassino, «La technique maudite», revue EPS n°164, 1979,]], débouchant sur le technicisme. La technique pour lui… « est dans le sujet et son activité et non dans l’objet qu’il produit… elle est une manière de faire, pas une chose faite. Le technicisme est cette attitude qui consiste à confondre la finalité de l’action et l’activité technique. » 

Ainsi ces réflexions nous conduisent à envisager l’activité technique comme une activité de production originale et adéquate d’un joueur. Cette activité est déclenchée pour concrétiser une intention compte tenu d’un contexte connu et compris par le joueur.

Cette conception se démarque des activités de reproduction de formes de modèles gestuels, dans lesquelles on place trop souvent le joueur. Dans ces situations, le contexte ayant produit ces formes, n’est accessible, au mieux, qu’à l’entraîneur.
Nous concluons avec Garassino « qu’il n’y a pas une activité technique mais une multitude de techniques… ».

Activité tactique :
une prédiction de l’évolution de la situation

Par activité tactique il ne convient pas seulement d’envisager une activité permettant au joueur, à partir des conditions d’une situation, de prendre une décision mais il convient d’envisager la construction d’une compétence à prédire l’évolution des situations, ce qu’elles seront dans un futur très proche. Cette prédiction s’élabore à partir d’une sélection et d’une mise en relation d’indices pertinents. Il ne suffit pas, par exemple, de prélever des informations sur le déplacement d’un gardien pour décider de tirer où il n’est pas mais il s’agit de décider de tirer là où il ne pourra pas être (M. Portes, 1993). Cette décision se construit à partir d’une mise en relation d’indices portant sur l’analyse du couple gardien/cible (posture, équilibre, possibilités de mobilisation de segments, pans de la cible restés inaccessible au GB). Cette conception de l’activité perceptivo décisionnelle fait du joueur non pas un simple « préleveur d’indices » mais un véritable « constructeur » d’informations. II s’agit pour nous de former des joueurs à cette activité prédictive. Le rôle du formateur se poursuit ensuite en favorisant la construction de certaines modalités pour produire le résultat recherché (jeu de prise de vitesse par exemple). Le joueur est dans un contexte de production personnelle et il comprend le sens du travail proposé. L’activité technique s’articule ainsi en cohérence avec l’activité tactique.

Quelles transformations des pratiques de formation (Esposito 1996) ?

Se centrer sur l’articulation entre activité tactique et activité technique impose un changement radical dans les pratiques.

évolution des conceptions : il s’agit de passer d’une conception de la technique en tant que formes spatiotemporelles utilisées par le joueur expert… à une activité technique envisagée comme une manière de faire pour produire le résultat que le joueur recherche.

Modifications des visées de formation : il s’agit de passer d’un contexte de reproduction de formes spatiotemporelles utilisées par le joueur expert dans un environnement connu… par le formateur… à la création d’un contexte incitateur, comportant des problèmes à résoudre et déclenchant une activité de lecture puis de production de manières de faire adéquates pour obtenir un résultat recherché.

Processus visés  : il s’agit de passer d’un processus de réduction d’écart entre une tentative de reproduction de forme et la comparaison avec la forme modèle… à un processus de planification d’un résultat à atteindre, puis de médiation de ce projet par comparaison entre les actions engagées pour produire le résultat anticipé et les résultats réels. Ce processus se poursuit jusqu’à l’adéquation entre la modalité mise en œuvre et le résultat visé par le joueur.

Rénovation des contenus
 : passer de contenus exprimant ce à quoi on veut arriver sous la forme de thèmes d’étude : démarquage, tir, dribble, à ce que le joueur doit s’approprier : éléments à prendre en compte, objets d’étude, connaissances, systèmes de repères, savoir-faire (Voir détail : in Approches du Handball, spécial « Vescemont »).

Pour le joueur, l’engagement des ressources techniques et tactiques en jeu semble une évidence. Par contre la difficulté pour le formateur est de proposer une démarche de formation qui puisse préparer le joueur à articuler ces ressources pour le rendre efficace en jeu. Le groupe de travail chargé de la formation initiale à la FFHB, ne peut qu’inviter les éducateurs, enseignants à proposer des situations sollicitant à la fois les acquisitions techniques et tactiques en référence avec le niveau de jeu des joueurs et à faire confiance aux capacités des joueurs à s’adapter à la situation rencontrée.

Cet article est paru dans Contrepied HS N°6 – HandBall