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Par Jean-Pierre Garel.

Exposé préalable à la table ronde Sports et handicap des EPSiliades des 12, 13 et 14 novembre 2010 à Paris. Il y est question de performances et de progrès dont sont capables des personnes en situation de handicap, de leur motivation pour les activités physiques et sportives, de types d’activités pratiquées, d’adaptations et d’intégration.


La table ronde sur la pratique sportive des personnes en situation de handicap fait écho à l’intérêt croissant et partagé qui est actuellement porté à ce thème dans le monde sportif « ordinaire ».
En témoignent, par exemple, les multiples actions engagées en 2010 par la FSGT et dont rendent compte plusieurs numéros de sa revue Sport et plein air, notamment à travers un dossier spécial (n° 538).
À noter aussi l’élaboration par l’Ufolep, cette année, d’un brevet fédéral concernant le handicap : Pratiques Multisports et Partagées. Cet intérêt accru se retrouve à l’étranger, avec l’organisation par L’Union italienne du sport pour tous de sa première conférence Sport et handicap.
En France, il se manifeste également dans le champ du sport scolaire (EPS, Sport Scolaire et Handicaps, titre d’un colloque de l’Usep, en septembre 2009), et par des initiatives dues à l’administration de l’Éducation nationale dans le domaine de l’EPS.
En 2009, se sont ainsi tenus le colloque EPS et handicap : changer de regard, sous l’impulsion des IPR de l’Académie de Paris (600 personnes à la Sorbonne), et le colloque national Scolarisation des élèves handicapés et éducation physique et sportive, organisé par la DGESCO et l’ESEN.

Ces manifestations d’intérêt envers les personnes en situation de handicap ne doivent pas nous faire méconnaître le chemin restant à parcourir pour qu’elles bénéficient d’une participation effective aux activités sportives et à l’enseignement de l’EPS.

Concernant la pratique sportive, les données de la Mission statistique du ministère en charge des sports (2005) montrent la faiblesse de leur participation : environ 1 % d’entre elles, seulement, possèdent une licence au sein d’une des fédérations spécialisées : à la FFSA (Fédération française du sport adapté) ou à la FFH (Fédération française handisport). Et une enquête conduite en 2005 par la FFSA montre qu’elles représentent à peu près 1% des sportifs des clubs ordinaires.

Quant à l’EPS, la présence d’élèves handicapés dans les établissements scolaires ordinaires confronte leurs enseignants à des questions face auxquelles ils ne sont pas toujours suffisamment préparés. Et ces questions se posent de plus en plus souvent puisque, depuis la rentrée scolaire 2006-2007, date de la première mise en œuvre du volet scolarisation de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapés, l’effectif des élèves handicapés en milieu ordinaire augmente annuellement d’environ 6,5 % (cf. Le système éducatif, Repères et références statistiques – édition 2010).

Un accès plus large, et de qualité, des personnes en situation de handicap aux APSA passe par l’école, parce que l’école s’adresse à tous, et que pour nombre d’entre elles l’école est le seul espace/temps ouvrant à la pratique de ces activités. Elle est fondamentalement une opportunité pour parvenir à une meilleure égalité des chances, à une participation sociale qui fasse de ces personnes des citoyens comme les autres, à l’opposé de l’exclusion que trop d’entre elles subissent.
Voilà qui oblige l’école.

Voyons maintenant les thèmes proposés pour la table ronde.

Les performances et les progrès

Les performances réalisées par des sportifs handicapés peuvent être surprenantes.
Ainsi, à l’automne dernier, l’équipe de France des amputés d’un membre inférieur a participé à la coupe du monde de football, en Argentine, avec des joueurs évoluant sur une jambe à l’aide de deux béquilles !

À la même période, Philippe Croizon, amputé des quatre membres, a réussi la traversée de la Manche à la nage ! Et que dire d’aveugles pratiquant le basket-ball, à l’Institut de jeunes aveugles de Paris ?
Cela dit, il faut se garder d’attribuer des capacités aussi surprenantes à tout le monde. Dans certains cas, la performance peut paraître modeste, mais représenter un progrès très important, objectivement (par exemple, se déplacer sur une poutre basse sans tomber, pour qui a d’importantes difficultés d’équilibre) et subjectivement, c’est-à-dire aux yeux du sujet, qui voit dans sa « performance » matière à se reconnaître et à être reconnu comme capable d’agir. À chacun son everest, pour reprendre l’intitulé de l’association créée par le Dr Christine Janin, pour aider les enfants atteints de cancer ou de leucémie à surmonter leur épreuve.

Ce qu’il faut retenir, ce sont des marges de progrès qui peuvent aller bien au-delà de ce que l’on peut imaginer.
Pour le professeur d’EPS, comme pour l’éducateur sportif ou l’entraîneur, trois enseignements sont à tirer de ce constat :

  • faire le pari des potentialités. Comment, d’ailleurs, pourrait-on être chargé d’enseignement et d’éducation auprès de personnes handicapées sans postuler leur éducabilité ?
  • avoir une conception exigeante de la pratique sportive de ces personnes, dans le sens où l’on ne saurait se contenter de leur présence en milieu ordinaire sans engager des actions propres à accroître leur pouvoir d’agir et leur participation effective à des activités communes ;
  • savoir que les progrès et les performances se construisent généralement à partir d’une démarche d’enseignement et d’entraînement rigoureuse, servie par la compétence de ceux qui en ont la responsabilité.

La motivation

Qu’une personne en situation de handicap soit motivée pour une activité sportive se conçoit bien quand cette activité donne lieu à des performances significatives, mais ce qui est significatif aux yeux de la personne concernée ne l’est pas forcément pour le valide qui est à ses côtés : il n’allait pas de soi de croire à la motivation pour l’escalade de cette élève de quatrième dont la déficience motrice ne permettait une élévation au-dessus du sol que de quelques centimètres, et encore avec une aide conséquente. Ce qui n’empêchait pas cette adolescente d’évoquer spontanément le plaisir qu’elle retirait de ses « sensations ».

Il arrive que l’enseignant juge qu’une tâche n’a pas d’intérêt, pour un élève handicapé, à être proposée ou poursuivie par ce qu’il s’imagine, par compassion, dans la situation de cet élève. Or, on ne peut pas se mettre à la place d’autrui. Ce qui est susceptible de mobiliser est propre à chacun.

On peut remarquer que, du point de vue de la motivation, les sportifs en situation de handicap ont bien des points communs avec les valides. Dès lors qu’ils sont mobilisés par la recherche de l’excellence, du dépassement de soi et des autres, ils sont des compétiteurs comme les autres.
Cependant, comme pour les valides, la compétition n’est pas le seul ressort de l’activité sportive.
Lors d’une conférence intitulée « Pour le plaisir, tout simplement », Patrice Radiguet, fondateur de l’Association Européenne des Pilotes Handicapés Visuels (qui s’intitule aussi « Les mirauds volants » et qui met en exergue cette citation de Marcel Pagnol : « Tout le monde savait que c’était impossible. Il est venu un imbécile qui ne le savait pas et qui l’a fait ») témoigne : « À 42 ans, et avec une acuité visuelle de moins de 1/10ème, je pratique, ou ai pratiqué, la spéléologie (…), l’escalade, le ski de descente et de fond, la randonnée en montagne, le judo, le canoë, le VTT de trial, de descente et de promenade, le pilotage d’avions de tourisme et l’initiation à la voltige aérienne… »[[P. Radiguet, « Pour le plaisir, tout simplement », Place des activités physiques adaptées pour handicapés visuels dans l’enseignement – une aide à l’intégration -, Actes du IIIème congrès européen du Groupement de Recherche et d’Information Consacré à la Cécité et à l’Amblyopie, Bruxelles, novembre 1997, pp. 77-83. ]].
Il décrit ce qui le porte vers l’activité sportive : « Je n’ai jamais cherché à devenir champion olympique d’aucune catégorie sportive, fut-ce handisport. Ma pratique sportive n’est pas l’occasion d’être plus fort que les autres (…). J’ai seulement eu envie, à un moment de ma vie, d’y goûter pour en éprouver les sensations (…). Ce que je recherche ? C’est seulement de vivre, mais avec le maximum d’intensité, en confrontant mon corps et mon être à des sensations (…) ; j’ai besoin de mordre à pleines dents au fruit sucré de l’existence (…). Solitaire ou accompagné d’amis valides, j’y ai trouvé mon épanouissement physique et mental ».

La nature des activités pratiquées, particulièrement exigeante pour une personne déficiente visuelle, laisse deviner que l’accent sur les sensations n’exclut pas l’effort sur soi et la satisfaction d’atteindre un but auto assigné.

Si la motivation est singulière, elle est aussi instable : présente, elle peut s’effacer, notamment devant le manque de réussite ; absente, elle peut se construire.
Et puis il n’y a pas de motivation en soi, en général, pour les activités sportives. Si certaines sont a priori davantage porteuses de sens pour un individu, la compétence didactique et pédagogique de l’enseignant est un facteur de mobilisation important.

Le type d’activité pratiquée

Les activités physiques, sportives et artistiques pratiquées par les personnes en situation de handicap présentent quelques caractéristiques à souligner.
* Les activités orientées vers la compétition s’inscrivent dans le modèle sportif classique, institutionnalisé, avec des championnats.

Ce peut être :

  • les mêmes activités que les valides, avec plus ou moins d’adaptation, par exemple le football, le judo, le ski ;
  • des activités dérivées des sports pour valides : le basket-fauteuil (en fauteuil roulant à propulsion manuelle), le foot-fauteuil (en fauteuil roulant à propulsion électrique), le cécifoot (pour les aveugles)…
  • des activités sans lien avec celles des valides, comme le torball (pour les aveugles).

Ces activités impliquent de regrouper les sportifs en fonction de leur niveau, ou de leurs capacités fonctionnelles, comme en basket-fauteuil : selon ses capacités, il est attribué à chaque joueur un nombre de points, et le maximum de points autorisés pour l’ensemble des joueurs présents sur le terrain ne doit pas dépasser un chiffre donné.

À noter l’émergence, en Italie, d’un sport conçu pour permettre la participation, au sein d’une même équipe, de sportifs valides et de sportifs présentant différents types de déficience : le baskin (bas comme basket, in pour intégration).

  • Les activités de loisirs sont présentes au sein même de la fédération handisport et de la FFSA, mais certaines d’entre elles, telle la natation, s’implantent au-delà d’un cadre fédéral (des communes aménagent des plages pour la baignade des personnes présentant une déficience motrice, et même une cécité, avec un dispositif de balises sonores dans l’eau pour permettre le repérage).
  • Des activités dites « motrices » sont pratiquées, au sein de la FFSA, par des personnes présentant une déficience, notamment intellectuelle, très invalidante. Elles mettent en jeu, par exemple sous forme de parcours, des habiletés motrices fondamentales (attraper, lancer, courir, sauter…) liées à des disciplines sportives.
  • Deux types d’activité prennent de l’ampleur : les activités physiques de pleine nature, qui font l’objet d’une demande croissante, et les activités physiques artistiques, qui s’ouvrent de plus en plus aux personnes en situation de handicap du fait qu’elles ont notamment l’intérêt de leur offrir une diversité de rôles pouvant s’adapter à leurs singularités.

Les activités énumérées ne sont pas à visée rééducative, même si incidemment elles peuvent y contribuer. À l’opposé d’une orientation vers la réadaptation, qui relève d’une conception médicale du handicap, elles sont tournées ver une conception sociale.

Sont privilégiées des activités physiques de nature sportive ou artistique, et, pour les plus jeunes, des activités ludiques qui font partie des activités du patrimoine ludique enfantin.

L’ensemble de ces activités sont du domaine des pratiques sociales valorisées et valorisantes, transmises, ou susceptibles de l’être, d’une génération à l’autre, et qui permettent à ceux qui s’y adonnent de partager une culture commune, de développer un sentiment d’appartenance fondé sur une reconnaissance mutuelle.

L’adaptation de l’enseignement et de l’entraînement

Les adaptations de l’enseignement ou de l’entraînement peuvent concerner plusieurs aspects.
* Les formes de groupement, qui se traduisent notamment par :

  • une pratique mixte : les personnes en situation de handicap partagent une même activité avec des valides ;
  • une pratique parallèle : elles pratiquent des activités exclusivement entre elles, mais à côté des valides ; – une pratique entre soi : elles sont exclusivement entre elles, dans des temps et des lieux distincts des temps et lieux de pratique des valides.

* Les contenus de la pratique, par exemple les techniques sportives.

* Les conditions de réalisation des tâches : l’adaptation du matériel, de l’environnement, des règles, etc.

* L’accompagnement de la personne handicapée, en prévoyant éventuellement un encadrement renforcé et en procédant à des médiations adaptées :

  • à dominante corporelle, en apportant une aide si besoin ;
  • à dominante cognitive, pour faciliter la perception, notamment en cas de déficience sensorielle, et la compréhension, en particulier face à une déficience intellectuelle ;
  • à dominante affective, quand il s’agit d’encourager, de valoriser une réussite, de relativiser un échec…

Des principes peuvent être retenus pour concevoir au mieux les adaptations.
* Etre attentif au sujet, à son activité
Il s’agit d’identifier :

  • les résultats de son action : ce qu’il arrive à faire, ou non, complètement ou partiellement, avec ou sans aide ; – les obstacles qu’il rencontre (de quelle nature ?) ; – les procédures qu’il utilise pour les franchir (comment il s’y prend pour…) ; – les ressources qui semblent lui faire défaut, ou au contraire…
  • les modalités d’accompagnement de son activité qui lui conviennent et ce qui peut le mobiliser.

Observer l’activité du sujet est nécessaire du fait de la diversité des ressources qu’il est susceptible de mettre en jeu.

Avec une même acuité visuelle réduite, deux malvoyants auront peut-être des capacités totalement différentes dans les sports de balle (selon, notamment, que l’altération de la rétine affecte sa partie centrale ou périphérique). La singularité des ressources individuelles est irréductible à la déficience annoncée. Par conséquent, elle invite à se méfier d’un prêt-à-porter pédagogique et à privilégier la personnalisation des solutions aux problèmes rencontrés.
Ainsi, en natation, certains élèves présentant une infirmité motrice cérébrale seront peut-être capables de se déplacer sur le ventre, mais éventuellement avec des mouvements de brasse avec les bras et des battements de crawl lents avec les jambes, tandis que d’autres n’auront accès qu’à une nage en position dorsale, avec des mouvements simultanés des bras, lents et amples, conjugués avec des battements de crawl.

Pour décider de la technique la mieux adaptée, l’observation de l’activité de l’élève est fondamentale.
* Être attentif au sujet, mais aussi à la situation à laquelle il est confronté, et à leurs relations
Il n’y a pas d’activité du sujet indépendamment de la situation dans laquelle il se trouve : un sportif aveugle est incapable de déployer son activité au football dans un environnement inadapté. Il est donc nécessaire de bien connaître l’APSA pratiquée, ses techniques et les ressources qu’elle mobilise, pour en adapter la difficulté et la complexité aux ressources du sujet, en l’occurrence en remplaçant par exemple les informations visuelles par des informations auditives (un ballon sonore, l’obligation de se signaler pour le défenseur qui va vers le porteur du ballon, des indications orales fournies par l’entraîneur, le gardien de but, et un guide derrière le but, tous voyants).

* Conjuguer les principes d’égalité et d’équité
Lors d’une pratique mixte, rassemblant des personnes handicapées et des valides, on peut être amené à différencier les règlements d’une activité. Les droits liés à son exercice sont alors inégaux pour rétablir un droit d’un ordre supérieur, celui, pour tous, d’avoir les meilleures chances d’y participer avec réussite. Ce qui suppose de ne pas confondre le principe d’égalité et l’égalitarisme, de ne pas méconnaître qu’il y a des inégalités justes, à encourager au nom de l’équité pour concourir à l’égalité des chances. Si l’égalité est requise à travers le droit de non-discrimination, l’équité invite à corriger les inégalités par des apports spécifiques pour certaines personnes.

* Prendre en compte les différences, mais aussi les ressemblances
La prise en compte des différences est nécessaire mais insuffisante, et même néfaste si elle est exclusive. En effet, les personnes en situation de handicap ne se caractérisent pas seulement par ce qui les distingue, mais aussi par ce qui les unit aux autres. Elles ont pour partie des besoins, des motivations, voire des capacités, semblables. Il convient donc de ne pas assigner le sujet à sa différence, de ne pas maintenir par exemple des règles spécifiques, en sport collectif, qui, peut-être pertinentes momentanément, entraveraient les progrès si elles perduraient.

La pratique sportive en milieu ordinaire : intérêts et limites

Pour les personnes en situation de handicap, la participation à des activités physiques, sportives et artistiques en milieu ordinaire signe la possibilité effective, et pas seulement le droit formel, d’accéder à une pratique sociale dans le même environnement que les autres, et avec eux. C’est la déclinaison, dans le domaine sportif, d’une égalité réelle pour accéder à des espaces sociaux de droit commun : l’école, les lieux de loisirs, de culture. C’est la réponse à une demande sociale croissante, l’accès symbolique à la normalité, et la stimulation que représente une pratique partagée avec des valides, possiblement riche de développement personnel autant que de socialisation.

Pour les personnes « ordinaires », une pratique mixte peut conduire à apprendre « à vivre ensemble », selon l’expression en vogue, et répondre à un enjeu éthique dans une société traversée par bien des clivages.

L’intégration n’est cependant pas sans limites. Vouloir imposer à tous une pratique mixte reviendrait à ignorer :

  • que certains sports spécifiques sont particulièrement bien adaptés et attractifs ;
  • que la part d’identité commune entre des personnes partageant un même type de déficience peut les conduire à vouloir se retrouver ensemble, comme le montrent souvent les sourds ;
  • qu’évoluer parmi des sportifs ordinaires, quand on est en situation de handicap, n’est pas forcément profitable et bien vécu. Ce peut être le cas d’une personne présentant une déficience intellectuelle sévère, et qui, parmi les autres, peut avoir le sentiment d’être « exclu de l’intérieur » ;
  • qu’une pratique entre soi peut être un espace sécurisant, chaleureux, bien adapté, ce dont témoignent des sportifs de haut niveau pratiquant dans le cadre de la FFSA.

Il convient donc, sans dogmatisme, de permettre à la personne d’évoluer dans le contexte le mieux adapté à son cas et de conjuguer si besoin une pratique en milieu ordinaire et une pratique entre soi.

Vers un autre sport ?

Par ce qu’elles sont dédiées au handicap, les deux fédérations spécifiques sont source d’un certain clivage : d’un côté les « handicapés », en leur sein, de l’autre les valides, dans les fédérations ordinaires.

Pour effacer ce clivage, ces dernières sont, pour certaines, engagées dans l’accueil de cette population particulière et s’efforcent de promouvoir des pratiques dont quelques-unes (par exemple le baskin, déjà évoqué, et les activités de l’association AVHES — « Association handicap valide vivre ensemble solidaire », à Quetigny, en Côte- d’Or, affiliée à l’Ufolep) amorcent ce que l’on peut considérer comme une mutation culturelle, dans la mesure où la mixité des pratiques donne à voir un sport moins orienté vers la compétition que vers le jeu et la convivialité (ce qui n’exclut pas certaines formes de compétition) et où cette mixité se manifeste en termes de capacités (handicapés et valides), de genre, d’âge (enfants, adolescents et adultes), d’activités (différents types d’activité, dans des temporalités et des lieux différents, à quoi s’ajoutent parfois des activités culturelles).

Pour conclure

Les éléments que nous retiendrons de la pratique sportive des personnes en situation de handicap ont en commun de relier des aspects trop souvent présentés comme opposés.

  • 1. Ces personnes ont des capacités et des motivations qui peuvent être largement sous-estimées, ce qui invite les enseignants, les entraîneurs, les éducateurs, à travailler pour qu’elles soient mobilisées au profit d’un accroissement du pouvoir et du plaisir d’agir, ainsi que des bénéfices qui y sont corrélés. Les réussites constatées engagent à nourrir des ambitions et à oser des exigences.
    À partir du constat que des personnes touchées par des altérations organiques et fonctionnelles sont plus proches des valides qu’on pourrait le penser, on en arrive à poser qu’il n’y a pas de démarcation nette entre les personnes en situation de handicap et les autres, qu’il n’y a entre elles que des différences de degré et non de nature, que chaque individu est singulier et que l’humanité est caractérisée par un continuum dans la diversité.
  • 2. Il n’y a pas de handicap en soi, inhérent à la personne, indépendamment de la situation à laquelle elle est confrontée, et contrairement à ce qu’une naturalisation hâtive des différences pourrait laisser croire. Le handicap résulte de l’interaction entre les caractéristiques personnelles d’un individu et celles de son environnement. Si l’on modifie l’environnement, en l’occurrence certaines contraintes d’une activité sportive, la déficience n’est certes pas diminuée, mais la capacité de réussite est accrue et, de fait, le sujet est moins handicapé. Cette conception situationnelle du handicap (d’où l’expression « personnes en situation de handicap ») incite à mettre l’accent sur les ressources et la responsabilité de l’environnement physique, social, culturel, affectif, politique.
  • 3. L’importance d’observer l’activité du sujet et, de façon indissociable, la situation dans laquelle il se trouve, conduit à voir dans la focalisation sur le sujet, au détriment de l’APSA, ou l’inverse, la manifestation d’une pensée simplificatrice qui révèle une même erreur épistémologique dénoncée par Edgar Morin, une erreur qui consiste à négliger les interactions entre des éléments étroitement liés.
  • 4. La pertinence des différentes formes de groupement des pratiquants, en situation de mixité ou non, amène à envisager éventuellement l’activité d’un sportif dans des contextes divers, à rompre avec une vision réductrice qui assigne les personnes soit des espaces séparés soit à des espaces communs.
  • 5. Plutôt que de prôner les mérites exclusifs d’une pratique en milieu ordinaire ou d’une pratique en milieu spécialisé, il est utile de construire des ponts entre ces deux secteurs, dans le domaine sportif comme ailleurs (entre le secteur médico-social, les institutions spécialisées et le système scolaire ordinaire).

Pour terminer, je mentionnerai l’intérêt d’une innovation attentive à adapter les APSA existantes, mais aussi à concevoir et promouvoir des APSA permettant des pratiques mixtes et qui ne sont pas forcément le décalque strict des actuelles pratiques sociales de référence.

Enfin, je soulignerai les bénéfices à travailler avec des personnes en marge de la norme. Un professeur d’EPS nous confiait que la confrontation à des élèves dits « handicapés » a transformé son enseignement, dans le sens où il porte maintenant un autre regard sur les valides. À ses yeux, désormais, tous les élèves sont différents, pas seulement ceux dont la singularité est manifeste, et à la fois semblables. Intervenir auprès de personnes à la marge pose manifestement des problèmes centraux.

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