Sport et cohésion sociale

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Cohésion, inclusion, intégration… les mots et les politiques qui se cachent derrière eux se valent-ils ? Quand on sait que le terme cohésion signifie « unité et harmonie » on se prend à douter que rapporté au social, il ait socialement un sens… Le social étant par excellence le champ de la diversité, des contradictions, des tensions, sociales, justement.
Qu’est-ce donc que la cohésion sociale par le sport ?
Au-delà de cette question difficile mais déterminante, un constat s’impose : les structures traditionnelles du sport peinent à rassembler les populations. Et ce n’est pas pour autant que les nouveaux modes d’organisation des sports répondent aux attentes nouvelles des pratiquants et encore moins aux besoins de ceux qui n’accèdent pas au « sport ».

Jean-Philippe Acensi (agence éducation par le sport), William Gasparini (Staps Strasbourg), Thierry Long (Staps Nice) ont donc débattu du sport et du social lors d’une table ronde. Yvon Léziart en rend compte ici.

Une expérience de « cohésion sociale » par le sport

J-P Acensi présente l’agence qu’il préside et les actions entreprises. L’orientation de cette structure vise à développer des micro-projets sociaux où le sport participe de la cohésion sociale.
Deux projets sont évoqués : un appel à projet intitulé ’’ Fais nous rêver’’ lie convivialité et respect. Les actions retenues semblent pour lui, plus aisées à engager que de viser directement la cohésion sociale et l’intégration.
Un second projet nommé ’’Educasport’’ fait le lien entre institutions, universitaires, pratiquants et permet le développement d’un certain nombre d’évènements. 2000 enfants peuvent ainsi participer à la découverte de l’aviron. Au Havre, un club de boxe vise l’insertion sociale grâce à une articulation entre les familles, le club, les partenaires privés, les syndicats. Une centaine de jeunes par an sont embauchés par ce biais.

L’expérience ainsi accumulée conduit à un certain nombre d’interrogations dont une majeure. L’offre sportive traditionnelle est- elle appropriée au public jeune ?
Son engagement diminue dans les zones urbaines. Il faut inventer d’autres modèles. L’agence propose de renforcer les partenariats locaux, de travailler avec des experts des pratiques physiques urbaines, d’ouvrir les classes sport-études à tous, d’interroger les rapports bénévolat et expertise professionnelle et de manière plus générale de réinventer un nouveau modèle économique, le modèle d’une économie sociale et solidaire.

Sport inorganisé : sport citoyen !

T. Long, propose, lui, une réflexion sur le sport et ses contextes de pratique. Le sport cristallise les valeurs idéales (charte de l’Unesco) mais les faits sportifs contredisent ces déclarations. Le sport éducatif ne repose sur aucune preuve objective. Les contextes de pratique sont à prendre en compte pour juger des possibilités éducatives du sport. Le sport de club vit sur un modèle d’adultes omniprésents qui assurent toutes les responsabilités de la structure. Les acteurs n’assument aucune responsabilité et ne peuvent donc pas s’ouvrir à un regard critique sur la société. Au modèle vertical et normatif que représente pour l’auteur, le club sportif traditionnel, il oppose le sport autogéré, modèle latéral et interactif. Ces pratiques ne concernent pas les adultes. Il n’y a pas de partenaires déterminés. Aucun lieu de pratique n’est fixé à l’avance. Les pratiquants sont donc contraints à choisir collectivement la forme de jeu adoptée. L’auto arbitrage s’impose. Ce second modèle conforte selon l’auteur l’idée de l’éducation. La citoyenneté est plus active, plus située, plus innovante. C’est le lieu de la démocratie directe. Les règles simplifiées prônent le retour à l’éthique. T. Long propose quelques suggestions en conclusion de son intervention :
– ouvrir de grands espaces de liberté aux jeunes (création de règles)
– circulation systématique dans les différentes fonctions (joueur, arbitre…)
– réduire la part du sport en EPS. Pourquoi les enseignants didacticiens cherchent à rendre éducatives des activités qui ne le sont pas ?
– développer une EPS du sensible, plus qu’une EPS technique.

Un sport « nation » en guise de « cohésion sociale »

W.Gasparini, considère que la « cohésion sociale » relève du politique. Le sport est présenté comme vecteur social.

Depuis 2000, la notion de cohésion sociale prend une signification politique en Europe (conseil de l’Europe) et en France (états généraux du sport, J-F Lamour). Cet intérêt porté au sport participe en fait de la recherche de pacification des banlieues qui sont devenues l’exutoire des violences. Les lois de finances imposent de cibler les politiques et les financements. En 2006, le ministre de l’intérieur affirme que le sport doit faire nation et non émancipation.

Les résultats sont cependant difficilement mesurables : comment juger de l’intégration par l’adhésion à un club sportif ? L’intégration se caractérise comme se sentir vivant dans une collectivité. En Europe le terme insertion ou inclusion est préféré au terme intégration.
Depuis une dizaine d’années, les politiques se sont emparées de cette question. Les résultats confirment que les effets des discours et des lois ne sont pas aisément identifiables et que ce sont essentiellement les clubs et non les services publics qui obtiennent des résultats en ce domaine.

Beaucoup d’incertitudes

Les débats se sont centrés sur l’intégration par le sport en privilégiant deux entrées : les responsabilités de l’état en la matière et la « cohésion sociale ».

Cette dernière se pose dans le domaine associatif sportif en analysant les voies d’entrée dans les associations sportives. L’inclusion par la pratique sportive se confirme-t-elle ? N’est-on pas en situation d’échec dès los que des clubs communautaires voient le jour ? Les positions se rassemblent sur la volonté de n’idéaliser ni de stigmatiser les voies d’entrée dans le mouvement sportif. Cette question n’est jamais posée à sa juste place : soit elle est largement surdimensionnée, soit elle est sous-estimée. Il est rappelé que ce problème qui mobilise l’attention aujourd’hui et crée des malaises est à replacer dans un ensemble plus vaste. La désaffection des structures sportives par les différents publics sportifs et particulièrement les adolescents est réelle et inquiétante.

Cette fuite des licenciés est en phase avec le désengagement des services publics en matière sportive. Un discours politique est pourtant tenu. Il affirme l’importance du sport dans la « cohésion sociale » tout en contestant paradoxalement l’idée de politique publique. En lieu et place de l’action politique, il prône l’action des individus contre celle du politique. Plus sans doute, il engage l’instrumentalisation du sport, donc une certaine dénaturation de ses buts, de ses contenus. L’aménagement du territoire pose de véritables questions de prise en responsabilité de la compétence sport. Ce flou institutionnel rend la position du monde sportif incertaine. Pour certains, c’est au niveau des comités de communautés qu’il faut agir en créant une concertation permanente entre les instances politiques, les enseignants d’éducation physique et sportive, les associations sportives.

Ce débat a mis en évidence la diversité et la complexité des questions que les responsables sportifs ont à traiter actuellement dans une période où l’état a réduit son engagement et ou les structures responsables du monde sportif dans la réorganisation du territoire ne sont pas actées clairement. Le mouvement sportif vit une recomposition sensible de ses structures dans un monde ou l’autorité politique n’est guère présente. Il est donc évident que des crispations se manifestent. Le mouvement sportif a besoin d’appuis stabilisés pour effectuer sa mue dans les meilleures conditions et confirmer son apport dans la recherche de la « cohésion sociale » au quotidien.

Ce texte est paru dans Contrepied HS n°4 – sept 2012 – Sport demain, enjeu citoyen