Rugby : stop aux interdits ! Plaidoyer pour les droits des joueurs

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Serge Reitchess enseigne au collège Marie Curie, Les Lilas – 93. Il a impulsé le rugby
en UNSS en Seine Saint Denis et il anime de nombreux stages de formation continue.
Il tire de son expérience l’hypothèse qu’il est déterminant de passer d’une conception
formelle et figée à une conception dynamique et vivante des règlements.


Des contenus figés, dogmatiques, formulés en termes d’interdits entraînent inévitablement chez les pratiquants des attitudes figées, de conformisme ou de contestation systématique. A l’inverse, des contenus réglementaires vivants, logiques, compréhensibles en termes de droits des joueurs, constituent un mode d’emploi explicite pour une prise en charge autonome des élèves dans leur apprentissage.Les contenus réglementaires sont peu abordés et peu approfondis en formation initiale et continue ; réduits à leur portion congrue dans les programmes, dans les cycles EPS, ils deviennent formels, figés, vidés de leurs significations historiques et éducatives.Même la pédagogie de découverte, de construction du règlement par les élèves, qui se veut une alternative aux conceptions traditionnelles, est hypothétique ;si elle permet aux élèves de réinventer les règles, ces derniers restent souvent prisonniers des représentations dominantes: les règlements ainsi élaborés demeurent des listes d’interdits.

Dévoiler la logique du règlement [[R. Deleplace, Rugby de mouvement, rugby total, 1979, Ed. Revue EPS.]]

Au contraire, une nouvelle conception: le «noyau central » des règles, dévoile la logique cachée, vivante au cours de son histoire: c’est l’esprit du règlement (logique et caractéristiques de la cible, vie du jeu, de l’opposition, dans le cadre de l’égalité des chances, avec liberté de la balle et des joueurs, engagement physique avec protection et sécurité). Les droits des joueurs font vivre le jeu: chaque nouveau droit en attaque (garder la balle en main par exemple) correspond à un nouveau droit en défense (ceinturage) : ils permettent ainsi de libérer l’initiative individuelle de chaque joueur (voir dans ce même numéro l’article : un mode d’emploi pour l’apprentissage et l’évaluation).

Le règlement conçu comme la « logique des droits des joueurs »: un outil essentiel pour une pratique intelligible des élèves [[D. Bouthier & S. Reitchess, Contenus et évaluation en sports collectifs, pour un enseignement d’aujourd’hui, 1984, CRDP de Paris. ]].
Cette conception des règles permet:

  • la mise en évidence de la signification culturelle, humaine de l’APSA;
  • de construire un guide – mode d’emploi personnel, pour une appropriation active du jeu par chaque élève ;
  • à l’élève, à la classe et l’enseignant de se centrer explicitement sur le pourquoi de la règle, sur la logique de l’APSA, et non plus seulement sur le comment;
  • l’émergence d’un « référentiel commun» [[R. Deleplace, Ibid. ]], qui enfin donne du sens aux apprentissages. Il constitue un véritable langage partagé facilitant l’échange, la coopération, la controverse raisonnée entre les élèves dans les apprentissages, chacun se prend en charge en maîtrisant la signification de ce qui lui est demandé. Cette conception des règles éclaire le comment et le pourquoi des difficultés, des erreurs, des tâtonnements et surtout les conditions de la réussite technique et de la maîtrise des prestations collectives et individuelles. Elle autorise encore le dépassement de la vieille opposition jeu/exercice.

Le changement est radical

Le mode d’emploi du jeu ne laisse pas les élèves démunis dans une pratique de découverte, empirique et tâtonnante, le jeu par le jeu sans autre explication. La logique du règlement constitue une véritable boussole, une authentique «base d’orientation rationnelle et complète»[[P.I. Galperine, Essai sur la formation par étapes des actions et des concepts in N. F. Talyzina (Ed.) De l’enseignement programmé à la programmation des connaissances, 1966, Lyon: PUL.]] , que le pratiquant sollicite à la vitesse du jeu. L’élève peut enfin prendre en charge, de manière consciente et rationnelle, ses apprentissages. Chaque élève, la classe, s’engagent et réalisent des apprentissages qu’on ne pensait pas être possibles: c’est la « zone de proche développement » [[L. Vygotski, Pensée et langage, 1934, La dispute, Paris. (3e édition, 1998).]] grâce à la «matrice règlementaire de la technique » [[Deleplace, R. Ibid]].
Le climat de classe est transformé : calme, attention, concentration, responsabilité, deviennent les attitudes usuelles.

Il s’agit bien d’une prise en charge consciente et autonome de l’élève dans son apprentissage: elle permet de changer radicalement les relations pédagogiques enseignants/élèves. C’est une véritable coopération partagée qui s’instaure sur la base d’un mode d’emploi commun utile et nécessaire.

Cet article est paru dans le Contrepied HS n°2 épuisé … mais accessible en ligne