Pratiques sportives et EPS : quelques éléments de discussion

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Par Jacqueline Marsenach. Cette contribution se situe dans les réflexions sur l’EPS lancées par le Centre EPS & Société au cours de son séminaire de 2020 intitulé “l’éducation physique et sportive à un tournant ?” . C’est un problème clé, encore mal résolu de mon point de vue et pourtant vital pour l’avenir de notre discipline. Je vais y revenir à ma façon c’est à dire, comme je l’ai toujours fait, en essayant d’aller jusqu’au niveau des pratiques enseignantes les plus concrètes …


Je vais tenter de me situer au plus près du terrain, sans utiliser « le langage didactique », lequel , je le reconnais est quelquefois ésotérique.

Cela impose de raisonner à partir d’exemples concrets et d’aller jusqu’à ce que font les enseignants avec une classe donnée, une séance et une PPSA données.
Ce type de discours est austère et souvent ennuyeux mais c’est pourtant, à ce niveau, que se situent le plus souvent les vrais blocages et les malentendus.

Deux textes circulant parmi nous ont particulièrement retenu mon attention :

  • celui de C.Collignon qui montre la difficulté de « concrétiser » les contenus d’enseignement à partir de la définition que nous en avons donné avec R. Mérand, à l’INRP ;
  • et le dernier texte de T.Tribalat qui m’a permis d’y voir plus clair sur les points d’accord avec lui et ils sont nombreux mais aussi les divergences .

C.Collignon cite la définition que nous avons donné avec R.Mérand des contenus d’enseignement : « les conditions à intérioriser qui permettent l’élaboration d’actions nouvelles elles même corrélatives de transformation de l’activité corporelle ». Définition sur laquelle je reviendrais ci-dessous car elle est effectivement, en l’état, peu opérationnelle car peu compréhensible.

L’expression « contenus d’enseignement » est utilisée en didactique (G.Vergnaud) qui situe les contenus au carrefour de différentes contraintes :

  • l’état des connaissances à un moment donné,
  • les pratiques sociales des élèves et leur rapport au savoir,
  • les motivations des élèves ,
  • les connaissances antérieures et leurs représentations spontanées,
  • les buts généraux de l’institution éducative » .

Je pense que l’expression « contenus d’enseignement » a pour objectif de souligner les contraintes de l’école qui imposent des adaptations des savoirs à ce milieu particulier .

Sans minimiser les premiers items dont il faut évidemment tenir compte, la définition que nous donnons se centre sur le dernier : les buts généraux de l’institution éducative qui impose que les PPSA pratiquées à l’école, dans le cadre de l’EPS soient aussi un moyen de développement pour celui qui le pratique ; elles doivent donc contribuer de façon explicite et explicitée au développement des élèves par le moyen d’une pratique laquelle doit aussi permettre de progresser dans cette pratique.

J’insiste sur le fait qu’il faut articuler ces deux visées : connaissance et progrès dans la PPSA et contribution explicite au développement.

Je crois qu’il faut, pour clarifier cette perspective, ne pas craindre d’aller au plus près du terrain et répondre à la question : « est ce que ce que l’on va faire au collège, en VB par exemple , avec une classe de 5èmes est identique à ce que l’on fait dans la section VB jeunes d’un club ? Comment rapidement caractériser ce qui se fait dans le cadre d’un club ?”

Notons d’abord les différences dans la quantité d’entraînement : en gros un entraînement de 2H semaine hors vacances scolaires et un match le dimanche dans des compétitions jeunes.

Le programme d’entraînement est tiré d’un livre de P.Blain publié en 2006. (je ne connais pas de livre plus récent, les informations circulant plutôt actuellement par vidéo).
Dans ce cadre, apprendre à jouer au VB, « c’est apprendre la grande variété de techniques qu’impose le VB : réceptionner, passer, attaquer, contrer, défendre ». La technique est conçue « comme des manières de faire qui assurent l’efficacité, un ensemble de repères stables permettant répétition et affinement de l’action » (G.Vigarello).
C’est aussi l’apprentissage des systèmes défensifs et offensifs. L’entraîneur met en général les joueurs dans une situation de jeu simplifiée et renforce les tentatives des joueurs par des conseils tirés le plus souvent de son expérience de joueur et d’entraîneur.

Les apprentissages sont des apprentissages « en faisant » régulés par des conseils si possible adaptés aux réalisations de chacun des joueurs.

Centrons nous maintenant sur ce qui se fait , dans un cycle de VB avec par ex. une classe de 5èmes.
Nous nous appuyons sur les propositions de la rubrique « pratiques » et notamment « privilégier le jeu en mouvement » p.8 de la revue contre-pied HS N°18, juin 2019 laquelle rend compte d’une séance de VB réalisée dans le cadre de l’EPS .

Notons d’abord que la durée moyenne d’un cycle d’enseignement est d’environ 20heures ; des choix doivent être faits .

« Mon objectif, dit la collègue qui se situe dans cette perspective est que tous les élèves sachent jouer en 2c2, en auto-arbitrage et grâce à un jeu en mouvement »
A la fin du cycle, ajoute t elle, les élèves « ont acquis le sens du jeu (je dirai la logique du jeu) et le règlement ».

L’enseignante ajoute « en réception, ils savent qui prend la balle, un la remonte vers le haut, l’autre est prêt à intervenir. Sur le plan de la touche de balle la moitié des élèves joue en touches hautes, sur le plan des déplacements tous sont mobiles et le VB est un jeu où on se déplace beaucoup ».
Notre collègue choisit de confronter les élèves aux règles fondamentales du VB et au fonctionnement général du jeu . (ce que l’on peut aussi appeler la logique interne).

Comment se font les apprentissages ?
Il s’agit d’apprentissages « en faisant » facilités par des aménagements du milieu et régulés collectivement ou individuellement par le rappel de contraintes générales ou adaptées à chaque élève.

Je respecte la démarche utilisée par notre collègue, enseignante visiblement aguerrie et bonne connaisseuse du VB .
Cette 1ère étape est, à mes yeux importante .
Ce 1er niveau de connaissance d’une pratique sociale est d’un point de vue culturel essentiel. De même que les arts plastiques amènent à « aborder une œuvre en rapport avec les repères culturels de l’histoire de l’art », de même que l’enseignement du français se distribue autour de deux pôles ,la langue et la littérature , la connaissance en acte de ce qui fait la spécificité d’une PPSA , notamment de son fonctionnement me semble incontournable dans la perspective d’une approche culturaliste.

Mais peut on ou plutôt doit on aller au-delà dans le cadre de l’école ou « doit on faire un pas de côté » comme le dit Rochex ? Où comment passer sur « le comment ça marche ? » d’Y.Chevallard ?

La réflexion et les propositions qui suivent puisent dans une recherche en didactique « EPS au collège et contenus d’enseignemnt » conduite à l’INRP et qui s’est déclinée dans différentes PPSA, dont le VB sur lequel nous nous appuierons.

D’abord qu’entendre par pas de côté ?
En EPS , il me semble que c’est d’abord un changement de plan : on passe de la description de l’action (se placer sous la balle, écarter les doigts paumes vers le ciel, faire un losange etc.) aux déterminants de l’action qui ne sont pas observables mais que l’on peut construire en pensée .(pour pouvoir me placer sous la balle, je dois recueillir des informations sur le lanceur de balle ou le serveur ; Pour anticiper je dois recueillir des informations sur le serveur etc).
Ce changement de plan se double d’un changement de vocabulaire : on passe du vocabulaire technique au vocabulaire de la motricité qui permet de dépasser le VB pour une portée générale.
Le changement de vocabulaire est significatif d’un changement de plan . (technique/motricité). Se reporter à mon précédent texte où en me référant à Wallon je disais que l’on passait du réel au vrai.

Comment faire ? (A prendre plus comme un exemple pour me faire comprendre que pour une démarche stabilisée et validée.)

  • 1ére étape : je m’inscris dans l’une des situations proposées par notre collègue 1c2 sur 1/2 terrain dont l’objectif est de faire comprendre aux élèves la nécessité d’un relais.
  • 2éme étape : centration sur la passe de réception .1 metteur en jeu variant les zone de service et les façons d’envoyer la balle., 2 réceptionneurs placés hors du terrain latéralement. Enjeu : apprendre à anticiper la zone de réception , apprendre à adopter un déplacement compatible avec un renvoi à 2 mains au dessus de la tête (élimination des déplacements en course au profit de déplacements compatibles avec le renvoi (déplacements d’exploration).

En langage transférable à d’autres PPSA mais aussi à d’autres activités de la vie courante , les élèves doivent prendre conscience que l’anticipation dépend de l’observation d’éléments significatifs de l’environnement (ici l’endroit où est le serveur, son geste etc.) , indices qui ne sont pas les plus évidents. Ils doivent aussi apprendre que les déplacements dépendent aussi de ce que l’on projette de faire (rupture avec la marche et la course).

Les connaissances sur lesquelles on s’appuie ne sont plus seulement la technique mais les savoirs disponibles sur la motricité humaine.

Quel type de pédagogie ? Quelques principes.

  • Le faire doit toujours précéder la prise de conscience,
  • Apprendre aux élèves à raisonner en termes d’incertitude. Ex. dans la situation que vous venez de réaliser tantôt vous réussissiez, tantôt pas, dans quelles situations réussissiez vous ?
  • Inciter les élèves à recueillir le plus d’informations possibles sur la situation. Ex. Que regardez vous chez le lanceur de balle pour savoir très vite où la balle va tomber ? Les réponses de tous les élèves sont prises en compte et expérimentées .
  • Faire accéder les élèves aux informations les plus efficaces par essais et conscientisation des différentes tentatives.
  • Utiliser des schémas ou dessins préparés à l’avance comme base de discussion.
  • Faire dessiner les élèves : par ex. dessinez vous au moment où vous entrez au contact de la balle . Cette procédure n’est pas réaliste en cours de séance où le faire doit toujours être privilégié,( les élèves font volontiers les dessins mais ils prennent trop de temps). Ces dessins peuvent être faits hors séances et peuvent être « archivés » dans un cahier EPS (pourquoi pas?) et servir d’amorce de la séance suivante.

Comment caractériser ce changement de plan, indispensable à à l‘EPS ?

  • développement d’une attitude réflexive sur soi,
  • apprentissage de comportements liés à l’incertitude avec la prise de conscience de la nécessité de choisir au moins entre deux items ,
  • apprentissage d’un choix lui-même incertain et donc d’un comportement (ici un déplacement) qui peut à tout moment être modifié etc.

Rappelons brièvement la démarche dans laquelle nous nous inscrivons : une démarche en deux temps :

  • un 1er dont l’objectif est la familiarisation des élèves à la logique de la PPSA proposée et des principales techniques nécessaires à sa pratique.
  • Un 2éme qui s’attache à véritablement apprendre et à « comprendre » ce qu’il faut faire pour réussir ; comme ce 2ème temps impose une démarche longue et difficile, nous proposons de la réserver à seulement quelques objets (ceux que l’on juge les plus significatifs ou les plus complexes de la PPSA pratiquée).

Cette perspective à des conséquences sur les programmations d’établissement. Elles ne peuvent être composées que de PPSA institutionnalisées et suffisamment formalisées ; l’EPS n’a pas comme objectif de faire pratiquer aux élèves ce qui est à la mode, ou ce qui est festif mais ce qui va leur permettre de se développer rationnellement .

Est on complètement désarmé pour mettre en œuvre cette démarche ?

Je ne le pense pas. D’abord parce que je suis sûre que des enseignants, à leur façon, sont déjà dans cette optique, qui est, en outre une spécificité française.
Un recensement de ces tentatives serait intéressant à faire (pourquoi pas via le Centre EPS et société ?).

Cette perspective impose aussi de repenser les formations initiale et continue. Il ne s’agit pas de clamer que « tout était mieux avant » mais d’intégrer les acquis et ils sont nombreux de nos modalités de formation (dont l’originalité a été soulignée par de nombreux spécialistes) . Cette perspective plaide bien sûr pour un développement des recherches technologiques et didactiques.

Article de J.Marsenach issu du Séminaire EPS et Société 2020 ” l’éducation physique et sportive à un tournant ? “