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La FFSA (Fédération française du sport adapté) s’adresse à des personnes présentant une déficience intellectuelle ou des troubles psychiques. Roy Compte, vice-président de cette fédération, présente des adaptations aux particularités de la population accueillie et s’interroge sur son inclusion.


Comment caractériser la FFSA ?

La FFSA offre à ses 55000 licenciés un éventail de pratique qui porte sur plus de 50 disciplines. Elle s’adresse à des personnes en situation de handicap mental ou psychique. Le retard mental, ou déficience intellectuelle, est caractérisé essentiellement par une insuffisance ou altération des capacités cognitives. Les associations du sport adapté accueillent très majoritairement ce type de personnes. Quant aux troubles psychiques, ce sont des affections neuropsychiatriques.

Créée en 1971, la FFSA s’est fondée sur un principe : l’éducabilité de tous. Elle se distingue par le fait que, contrairement aux fédérations et associations ordinaires, les décisions sont prises par des personnes autres que les bénéficiaires, bien qu’ils soient au cœur du processus de décision. Les choix qui sont faits pour ces sportifs ne sont pas toujours l’expression d’une demande formulée clairement par eux. Des tiers (parents, éducateurs, amis…) décident pour eux. C’est pourquoi le mouvement fédéral du Sport adapté doit en permanence s’interroger sur les conséquences de chacune de ses décisions et prendre en compte, autant que possible, les besoins de la personne en situation de handicap.

Quels types d’associations sont affiliées à la FFSA, et que traduit leur évolution ?

On a 3 types d’associations :

  • Les associations « in situ », les plus nombreuses. La plupart sont créées à l’intérieur des établissements spécialisés, qui relèvent du secteur médico-social et accueillent des jeunes ou des adultes en situation de handicap mental. Une petite part de ces associations se situe dans des hôpitaux psychiatriques, établissements du secteur sanitaire.
  • Les associations indépendantes. Leur nombre croissant (environ un tiers des associations) traduit une évolution du Sport adapté : il se fond dans le modèle traditionnel des associations sportives.
  • Les sections Sport adapté au sein d’associations sportives ordinaires (environ un quart des associations). Leur développement est un phénomène nouveau. Il participe du mouvement inclusif.

Comment est organisée la pratique sportive au sein de la fédération ?

Nous proposons trois domaines de pratique :

– Le secteur de la compétition, qui va du niveau local au niveau international. Pour répondre à l’hétérogénéité des pratiquants et à un souci d’équité sportive, le sport compétitif s’est structuré en trois divisions permettant aux sportifs de se mesurer à des adversaires aux capacités similaires : la division 1, pour une pratique sportive sans aménagement du milieu ni de la réglementation, la division 2, caractérisée par une réglementation adaptée en fonction des disciplines, et la division 3, où la réglementation et le milieu (le terrain, le type de balle…) font l’objet d’une forte adaptation, mais dans le respect des logiques d’activités.

Quant au niveau international, il est accessible aux sportifs répondant à des critères d’éligibilité contraignants et capables de réaliser les performances exigées pour les compétitions organisées sous l’égide de l’International Paralympic Committee (IPC) et de l’International Federation of Sport for Intellectual Disabled Persons (INAS).

– Le domaine d’une pratique non compétitive, avec le secteur loisir et le secteur « activités motrices ».

L’ensemble des disciplines proposées par la FFSA peuvent être pratiquées en loisir pour celles et ceux que l’enjeu d’une compétition ne mobilise pas. Dans ce cadre, la fédération organise aussi, depuis peu, des rassemblements nationaux autour de la notion de défi.

– Le domaine du « sport adapté jeune ». Il comprend les associations sportives des établissements spécialisés, tels les IME (Instituts médico-éducatifs). Certaines rencontres sont organisées en collaboration avec l’UNSS, l’Usep ou l’Ugsel.

Quels sont les raisons et les contenus des « activités motrices » ?

Les « activités motrices » répondent aux possibilités et aux besoins d’adhérents très lourdement déficitaires. Un constat : beaucoup de licenciés ne peuvent avoir accès à la compétition, même avec des adaptations, faute d’y trouver du sens. Il faut savoir que nombre de nos sportifs ne saisissent pas, par exemple, ce que signifient des notions telles que courir vite, courir droit, courir une certaine distance, arriver avant ou après l’autre, partir au signal, « faire un temps »…

Dans ces conditions, les activités motrices impliquent des situations relativement simples, conduisant les participants à s’adapter à un environnement physique et humain, à s’engager dans des activités d’expression et des jeux adaptés. L’ambition n’est pas absente de cette forme de pratique. Il y a bien, de la part du personnel encadrant, l’objectif d’accompagner ces personnes vers des apprentissages et des performances à leur mesure, de leur permettre de partager une activité avec d’autres et d’en retirer une valorisation qui donne du sens à leur action.

La FFSA s’inscrit-elle pleinement dans une logique sportive ?

La complexité de la fédération réside dans une identité institutionnelle ambivalente. Membre à part entière du comité national olympique et sportif depuis 1983, elle revendique à juste raison son appartenance au mouvement sportif, mais c’est aussi un ensemble d’associations de type action sociale. La difficulté, pour une association sport adapté, est d’être en mesure de se situer sur deux approches, celle du sport, dans une perspective d’apprentissages techniques et de performance, et celle de l’action sociale, avec la poursuite d’objectifs humanistes et sociaux : donner du plaisir, favoriser l’épanouissement de la personne, être un lieu d’entraide, favoriser l’autonomie, concourir à la santé, notamment la santé mentale, problématique chez nos licenciés présentant des troubles psychiques. En cela elle se démarque des autres associations du mouvement sportif ordinaire. Cette orientation marque les modes d’intervention des professionnels vers la dimension éducative de l’activité, avec la difficulté parfois de s’insérer dans une logique sportive d’accès à la performance. Cela peut expliquer la résistance d’associations au sport de haut niveau, souvent mis en opposition aux pratiques non compétitives et de loisir perçues comme plus conformes aux caractéristiques générales des sportifs du Sport adapté. La professionnalisation du champ associatif devrait pouvoir réunir ce qui apparaît encore antinomique.

Selon quelle procédure un sportif est-il admis à participer à des compétitions spécifiques ?

Pour obtenir une licence à la FFSA, une personne doit être reconnue atteinte d’une déficience intellectuelle ou psychique par une instance administrative, en l’occurrence la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées de la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées).

Pour être éligible à des compétitions internationales, une procédure d’évaluation est mise en œuvre pour s’assurer que le sportif répond à certains critères. On recourt à des tests de QI et de comportement, à un questionnaire rempli par l’entraîneur, ainsi qu’à un document rempli par un psychologue et par l’athlète. Au final, l’athlète doit être reconnu comme étant atteint d’une déficience significative du fonctionnement intellectuel (QI de 70 + ou – 5) apparue avant 18 ans, et de limitations significatives dans le comportement adaptatif, qui s’expriment dans les capacités adaptatives, conceptuelles, sociales et pratiques.

La décision d’inscrire un athlète à des compétitions dans telle ou telle division est-elle prise uniquement sur un critère de performance sportive ?

Pas seulement. On prend aussi en compte sa capacité d’adaptation. Par exemple, si un athlète est capable de courir sur 100 mètres dans un temps qui le qualifierait pour la division 1, mais s’il n’est pas en mesure de comprendre les consignes de départ et de rester dans son couloir de course, il sera placé dans une division inférieure.

La répartition des sportifs en trois divisions pose-t-elle des problèmes ?

La classification de nos sportifs n’est pas simple, et la FFSA mène actuellement une réflexion sur ce sujet. L’adéquation entre les possibilités d’un sportif et les exigences définies pour une pratique dans telle ou telle division posent parfois question. Ainsi, on constate que des adaptations mises en œuvre pour la division 2 empêchent le sujet de donner le meilleur de lui-même. En tennis, par exemple, le jeu se déroule dans un espace limité aux carrés de service, et deux rebonds de la balle sont autorisés. Dans ces conditions, on voit des joueurs qui s’accommodent « confortablement » de ces facilités alors qu’ils pourraient être confrontés à davantage d’exigence et progresser davantage. La règle construit le jeu. En l’occurrence, il arrive que le jeu produit ne permette pas au joueur de se réaliser pleinement.

La pratique sportive des personnes « handicapées mentales » a-t-elle eu à s’affranchir d’une approche médicale ?

Oui, des décisions prises à deux dates différentes illustrent le chemin parcouru. En 1971, Joseph Comiti, Secrétaire d’état à la jeunesse et aux sports, s’oppose par courrier à la demande d’agrément de la fédération : « les handicapés mentaux sont des malades sous tutelle à titre provisoire ou définitif. Je regrette de ne pouvoir vous donner satisfaction en ce qui concerne la création d’une fédération française des sports pour handicapés mentaux. Je considère ce projet comme peu opportun… J’estime dangereux de créer des fédérations sportives pour les personnes handicapées mentales ». La pratique d’activités sportives est approuvée si ces « malades » ne sont pas « guéris », mais seulement « à des fins thérapeutiques ». Dès lors qu’ils sont « guéris », « ils rentrent alors dans le circuit normal ».

De fait, à cette époque dominait une conception médicale du handicap. Elle se traduisait par une approche rééducative, psychomotrice et individualisée de la pratique physique.

A contrario, en 2009, le directeur des sports du Ministère chargé de la santé et des sports écrit au président de la FFSA pour lui annoncer que la commission nationale du sport de haut niveau a reconnu le caractère « haut niveau » de cinq disciplines inscrites au sein du Sport Adapté. Cette reconnaissance donne aux sportifs du sport adapté la possibilité de participer aux Jeux paralympiques. Elle témoigne de l’évolution des mentalités et des pratiques : aujourd’hui, l’accès à la culture sportive de cette population souvent marginalisée est admise.

Que penser de l’inclusion des personnes avec une déficience intellectuelle ou des troubles psychiques au sein d’associations sportives ordinaires ?

Il y a incontestablement un élan des fédérations ordinaires vers le handicap, qui remet en question la place des fédérations spécialisées. Mais si des personnes en situation de handicap sont effectivement accueillies dans le milieu « normal », il faut savoir que, le plus souvent, elles présentent une déficience modérée et sont relativement performantes. Dans les conditions actuelles, et même si on constate des progrès, un accueil de tous nos sportifs, y compris, donc, les plus lourdement handicapés, est un leurre. Et puis une association sportive ordinaire ne pose généralement pas comme priorité une prise en compte psychosociale de la personne, une attention à son comportement et à ses relations avec les autres, comme on s’y attache à la FFSA.

Il faut reconnaître que nos sportifs ont bien souvent des difficultés à atteindre les minima de performance que l’on attend d’eux, à respecter les exigences d’un entraînement et les règlements d’une activité. Par exemple, lors d’une compétition de brasse, le nageur qui ne touche pas le mur à deux mains est disqualifié. Plus généralement, ce sont toutes les contraintes d’une compétition qui sont susceptibles de poser problème : en athlétisme, faute d’un accompagnement, certain(e)s sont incapables de prendre leurs marques au saut en longueur, de régler leurs blocs de départ ou de rester seuls dans la chambre d’appel.

Le mouvement sportif ordinaire a de grandes difficultés pour répondre aux besoins de cette population particulière. Elle demande des modalités d’accueil, un accompagnement, des aides et un encadrement adaptés. Or, l’entraîneur d’un club ordinaire n’est a priori pas préparé à faire face à des problèmes de comportement qui sont très déroutants, tels une forte inhibition ou des conflits.

En fait, les compétences des personnels du milieu ordinaire et du milieu spécialisé peuvent être complémentaires, les uns par leurs connaissances techniques, les autres par leurs connaissances de ces sportifs singuliers. Chacun des partenaires a une expertise propre et une légitimité à intervenir auprès d’eux. Et les liens qui se resserrent actuellement entre les deux parties laissent à penser que davantage de nos sportifs pourront à l’avenir bénéficier d’une collaboration renforcée.

Entretien réalisé par Jean-Pierre Garel et paru dans Contrepied HS N°12 – EPS, Sport et handicap – avril 2015