Le football : un joli sport codifié par les Anglais au XIXe siècle, sport spectacle corrompu par les mafias au XXIe siècle

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Alain Vernon, journaliste à France Télévision, parcourt le monde au cœur des stades et constate les dégâts du foot commercialisé. Son regard critique est éloquent, il n’en demeure pas moins un amoureux de ce sport populaire.


Pour qui aime le football de nos jours, il n’y a que l’embarras du choix pour se faire plaisir … à condition de s’abonner aux chaînes de sports bien sûr ! Mais quel pied, entre le foot anglais et la Bundesliga le samedi après-midi, la Liga espagnole le samedi soir, le Calcio italien le dimanche, le tout agrémenté d’un PSG ou d’un Monaco en Ligue1 française. Avec des dizaines de caméras, des ralentis en tous genres, des rediffusions, programmées ou à la demande, des possibilités même de découper les matchs selon votre propre équipement audiovisuel.De quoi rester chez soi tous les week-end !
Sans oublier les Championnats d’Europe, les Coupes d’Afrique des Nations, la Coupe des Confédérations et les Coupes du Monde, attendues tous les quatre ans.
Mais derrière ce spectacle permanent du ballon rond, derrière ce temps sacré et rythmé des supporters de tous clubs, derrière cette effervescence médiatique et cette économie réelle, le football a aussi connu des dérives, depuis que les anglais ont codifié ce jeu au milieu du XIXe siècle.

Car un évènement va faire basculer le football dans l’ère de la mondialisation : l’arrivée de la télévision.

Un évènement va faire basculer le football dans l’ère de la mondialisation : l’arrivée de la télévision.

Premiers directs au début des années 50, comme pour les Jeux Olympiques, le football répand son langage commun à travers la planète grâce à la télévision. La Coupe du Monde au Mexique en 1970 venant consacrer, par exemple, le Roi Pelé alors qu’il est en fin de carrière. Mais le monde entier découvre la fascination pour le football, en même temps que toutes les variations de ce jeu codifié en Europe, par les différents pays pratiquants et désormais inscrits à la FIFA, à l’UEFA, etc.

« On peut ainsi considérer l’épopée des Verts de St-étienne, lors de soirées de Coupes d’Europe inoubliables comme l’acte de naissance du football spectacle. »

En France, on peut ainsi considérer l’épopée des Verts de Saint-Étienne, lors de soirées de Coupes d’Europe inoubliables le mercredi soir, comme l’acte de naissance du football spectacle. Lorsque Michel Hidalgo arrive à la tête de l’équipe de France en 1976, il dispose d’une génération exceptionnelle autour de Michel Platini. Son parcours l’emmène en Argentine pour la Coupe du Monde 78, avant de remporter le premier titre du football français au Championnat d’Europe en France en 1984. Dès lors, nous entrons dans l’ère des contrats de joueurs, des droits d’image, des partenaires publicitaires attirés par la manne télévisuelle. Les stars montantes du football moderne commencent à gagner des salaires démesurés, conseillers par des agents de joueurs de plus en plus nombreux, « vendus » par des médias qui se multiplient eux aussi. Les joueurs arrivent du monde entier, appartenant parfois même à des personnes physiques comme en Amérique Latine, en contradiction totale avec les lois européennes sur l’esclavagisme.

L’arrivée de Canal+ et la privatisation de TF1 dans le champ médiatique au début des années 80, font exploser les sommes qui circulent dans le football. Les droits de télévision payés par ces nouvelles chaînes enrichissent un peu tout le monde : joueurs en priorité, mais aussi, agents et dirigeants qui trouvent dans les transferts, souvent surfacturés, une source de revenus en liquide non déclarés assez conséquente (voir l’affaire récente du Barça à propos du transfert de Neymar). Les clubs qui ont besoin d’infrastructures pour leurs centres de formation, etc.

Parallèlement, la diffusion des images des championnats européens sur tous les écrans du monde, amène une nouvelle population de joueurs dans les clubs. On doit faire tomber quelques barrières réglementaires comme en témoigne l’arrêt Bosman, pour pouvoir aligner dans la même équipe plusieurs étrangers en plus des joueurs de l’Union Européenne. Le marché mondial du transfert de joueurs bat son plein ; les agents passent par les paradis fiscaux pour contourner les législations nationales, les mafias s’intéressent de plus en plus au football, car l’argent gagnée dans les ventes de joueurs est plus facile à justifier. Les réseaux criminels traditionnels de l’Est par exemple, mettent la main sur les clubs par la force et s’occupent de vendre eux-mêmes les joueurs depuis que la chute du mur de Berlin et des républiques socialistes ont permis à ces joueurs de quitter leurs pays avant 28 ans. Le trading des joueurs de foot ne répond pas à des cours mondiaux comme pour le blé ou l’aluminium. Un joueur n’a pas de prix, chacun fixe son montant dans la jungle du ballon rond. Ce marché mondial est également moins dangereux pour ces réseaux de la criminalité que la prostitution, les ventes d’armes ou le trafic de drogue. Ainsi, un Rapport d’Information parlementaire de février 2007[[N°3741 intitulé « Les conditions de transfert des joueurs professionnels de football et le rôle des agents sportifs »]] met-il l’accent sur les dérives du football moderne, ou des marchands de viande font la pluie et le beau temps au sein des clubs et des principaux championnats nationaux. Michel Platini, devenu Président de l’UEFA, dénonce les dysfonctionnements dans le foot liés aux versements de rétro commissions à l’occasion de trop nombreux transferts illégaux.

La technique du transfert illégal, consiste à payer plus cher un joueur sans valeur réelle, en affichant un prix qui ne correspond pas au versement. La différence, versée souvent dans des paradis fiscaux, permet de redistribuer l’argent liquide auprès de nombreuses personnes de l’entourage du joueur sans que leurs noms n’apparaissent nulle part. On ouvre une Fondation au Luxembourg par exemple, pour pouvoir masquer les gains d’un président dont le nom est ainsi caché. On mandate un agent pour un transfert, en y ajoutant l’organisation de matchs amicaux avec le club qui vous vend un joueur. Mais les matchs en question ne se font jamais, et l’argent versé, est redistribué en dessous de table. La grande mode actuelle, c’est d’acheter des appartements au Qatar ou à Dubaï pour les revendre et redistribuer l’argent liquide à des dirigeants restés en France et qui ne sont pas mêlés juridiquement à ces montages financiers. L’utilisation de Fonds de Pensions étrangers, propriétaires de joueurs, c’est illégal bien sûr au regard des lois européennes, est de plus en plus à la mode.

Depuis la victoire des Bleus en Coupe du Monde en 98 en France, les salaires et les contrats individuels de joueurs, liés à de nombreux sponsors, n’ont cessé d’augmenter pour atteindre des niveaux totalement indécents au regard de la crise économique et sociale que traversent les pays européens. Mais les médias privés, les nombreux sites internet qui sacralisent les vedettes mondiales, vivent désormais du football et les sponsors ont même envahi cet espace médiatique. Sans compter que le football est devenu le nouvel ascenseur social pour les plus talentueux.
Mieux encore, le football est devenu une industrie si florissante, que tout veut être maîtrisé y compris la communication des joueurs dont la parole est devenue affligeante de banalité.

On ne compte plus à ce jour, les procès ou condamnations qui touchent les acteurs du football en France comme à l’étranger (caisse noire de Saint-étienne, affaire VA-OM, Courbis en Prison, Feuilleton Yvinec à Brest, années fric Tapie-Bez, comptes du PSG ou de l’OM, etc.).

Derrière chaque compétition, les mafias ont enfin tissé des réseaux de criminalité qui ont pénétré de très nombreux clubs professionnels ou amateurs. Grace au système des « paris truqués », les mafias chinoises ou venues de l’Est, corrompent de nombreux joueurs et programment les résultats de beaucoup de matchs à leur profit et au détriment de « la glorieuse incertitude du sport ». Les Triades chinoises font jouer des dizaines de petits parieurs auxquels elles donnent deux ou trois euros pour cocher sur un bulletin le résultat prévu en Europe, dans tous les championnats infiltrés. Le rôle des relais européens des Triades, c’est de s’assurer que joueurs et dirigeants du championnat finlandais, grec ou polonais, vont bien s’accorder sur ces résultats. Dans un deuxième temps, l’argent des gains sert à enrichir ces Triades mais aussi à financer la corruption en Turquie, en Belgique ou en Italie. Les mafias italiennes ont même inventé des matchs-leurres, destinés à attirer l’attention des institutions du foot européen, pour mieux faire passer les dizaines d’autres matchs truqués. Sans omettre de dire que la violence dans le foot a parfois pour origine la délinquance financière.

Le football est si malade aujourd’hui, qu’il doit faire appel (comme l’UEFA et la FIFA) aux polices internationales comme Interpol pour enrayer le phénomène des tricheries mondialisées. Les procès impliquant dirigeants, joueurs et arbitres, se multiplient en Pologne, en Turquie, en Allemagne, en Grèce, en Italie ou on ne sait plus si les acteurs de ce beau sport codifié par les anglais en sont toujours dignes.

Mais on peut aussi se plonger chaque week-end dans ses programmes télévisés, pour s’abreuver du spectacle de football, sans se soucier de l’éthique écornée du sport le plus populaire au monde.

Cet article est paru dans le Contrepied HS n°9 dédié au Football