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La « muscu » est entrée officiellement en EPS au début des années 2000 en tant que discipline autonome, répertoriée comme « APSA » et pouvant faire l’objet d’une évaluation au BAC (2002). Elle fait l’objet, dans un premier temps, d’un intérêt très limité… Christian Couturier


En 2005-2006, d’après le rapport de la commission nationale d’évaluation (CNE), seuls 7,5% des élèves choisissent un menu avec musculation.
À titre de comparaison, en 2018 le taux est grimpé à 36,5% pour les garçons en lycée et à 59,5% en lycée professionnel.

Dès lors, les discours fleurissent sur la « preuve » apportée par la fréquentation de cette activité à l’intérêt éducatif de la musculation enfermée, rappelons-le, dans une optique particulière, celle de la CP5. Mais, dès lors qu’on s’intéresse aux faits réels, c’est une toute autre analyse qui apparaît.
En 2010 la commission fait encore état d’une fréquentation de 8,5% en moyenne.
En 10 ans, le pourcentage a donc très peu bougé, mais en 2013, on passe brusquement à 25% en lycée et près de 50% en lycée pro.

Quelle est l’origine de cette bascule ?
C’est simple, ce sont les programmes et les contraintes d’évaluation qui pèsent : la contrainte « 3 APSA dans 3 CP différentes » au Bac, combinée à une obligation de programmer 2 cycles de CP5 (programme de 2010), impose aux équipes de proposer de nouveaux menus aux élèves.

C’est la contrainte institutionnelle qui est le véritable déclencheur et non un engouement soudain et spontané des élèves ou des enseignants.

C’est la contrainte institutionnelle qui est le véritable déclencheur et non un engouement soudain et spontané des élèves ou des enseignants.

Mais, même si c’est l’argument principal, il y en a un autre qui va contribuer à l’augmentation progressive de la fréquentation après 2010 pour arriver aujourd’hui à être une des activités les plus pratiquées au lycée et au lycée professionnel. C’est l’effet « note ».

En effet la note de musculation obtenue en moyenne en 2006 est déjà élevée : 13,47. Et en 10 ans elle monte d’un point. La musculation fait alors partie des activités les plus « rentables ».

La note monte-t-elle parce que les élèves sont devenus plus experts ? Difficile à croire. Étudier les référentiels nationaux et leurs modifications successives, chose qui sera bientôt impossible puisque chaque équipe pourra avoir un référentiel différent, met en évidence les intentions du législateur qui ont permis la propulsion de la musculation comme activité phare de l’EPS en lycée et lycée professionnel en 2020.
Nous ne prendrons que certains aspects saillants.

Une éducation physique qui n’est physique qu’à moitié !

Dès juillet 2003, date de la première modification de la fiche Bac « musculation », le SNEP réagissait et posait les bases de ses principales critiques : « Cette fiche a posé de gros problèmes de mise en œuvre. C’est la seule en outre à être “hors textes” puisque la prestation n’est prise en compte que pour la moitié de la note. De ce fait, elle est paradoxalement très élitiste par ce renforcement de l’aspect “conception-analyse”. Sans remettre en cause l’intérêt de ce travail, il faudrait rééquilibrer l’attribution des points. »

Ainsi, dès le début, et alors que l’horaire effectif d’EPS en lycée tourne autour d’une heure en moyenne compte tenu des déplacements pour se rendre sur les équipements sportifs, au lieu de « rentabiliser » cette heure pour la pratique, on fait le contraire.
Une sorte d’adaptation à la pénurie en quelque sorte.
Rappelons que la « CP5 » a pu être considérée comme préfigurant l’EPS à venir. Si l’on suit cette logique, que les programmes de 2010 ont confirmée en faisant de la CP5 le seul groupe d’APSA à devoir obligatoirement être programmé sur 2 cycles[[Dans les faits, ça sera même 3 dans de nombreux lycées, car pour les élèves qui ne choisiraient pas ces activités au Bac, il fallait qu’ils en aient fait 2 cycles auparavant, donc pour être dans les textes il faut proposer CP5 en seconde, première et laisser le choix en terminale… ]], on peut dire alors que l’EPS doit devenir de moins en moins physique !

La première fiche d’évaluation (2002) propose donc une répartition des notes : 10 points pour la partie « physique », 5 points sur « concevoir » et 5 points sur « s’engager dans l’action ». Dès l’année suivante, la partie « concevoir » prend du volume pour être notée sur 7 points et « s’engager » devient « analyser » sur 3 points.

Les constats sont évidents. La dimension motrice est fortement minimisée. Cet état de fait durera et il faudra attendre 2018 pour qu’un réajustement s’opère enfin, et que l’Inspection ramène la partie motrice à 14 points (3 et 3 pour les 2 autres). Mais l’Inspection de 2019 déjugera celle de 2018. L’alignement de la composante motrice sur 12 points pour toutes les APSA doit devenir la norme.

Ainsi donc, au moins sur ce plan, la musculation et les autres activités de la CP5 auront préfiguré une nouvelle EPS, dont la dimension motrice est minimisée. Certains pourraient penser que 12 points, c’est pas si mal… C’est ne pas avoir vu la réalité des propositions pour 2020[[BO n°36 du 03-10-2019. ]]. Car l’attendu de fin de lycée n°1 (AFL1) pour le champ d’apprentissage n°5 (CA5), censé correspondre à la partie « physique », se décompose en 2 parties : produire et analyser, tout en disant que « chacun des éléments est noté au moins sur 4 points ». En clair, puisque chaque équipe devra produire son propre référentiel, la partie « produire » pourrait ne plus être évaluée que sur 4 points !

On touche le fond. Comment l’EPS a pu en arriver là ? C’est en tout cas le chemin tracé par l’institution. Que la profession ne suivra pas, espérons-le.
En tout état de cause, ces procédures ouvrent la possibilité d’une évaluation qui valorise plus les élèves en réussite scolaire, sur des activités « intellectuelles » (concevoir, analyser, mettre en relation, choisir, réguler…), ce que confirment les récents rapports de la CNE. Pour le dire de façon brute : à l’âge ou nombre d’élèves sont rebutés par l’effort physique, nous avons bien ici une activité « refuge » qui permettra si on est malin d’avoir une bonne note à moindre coût énergétique !

« Nous avons bien ici une activité “refuge” qui permettra si on est malin d’avoir une bonne note à moindre coût énergétique ! »


Une activité d’aujourd’hui pour demain ?

Une autre dimension mérite d’être relevée pour comprendre les mécanismes à l’œuvre et leurs dérives, s’agissant d’une note constitutive d’un diplôme national.
Pour les compétences attendues de 2002, ce qui est mis en avant est la recherche « d’un effet différé » et ce qui différencie le niveau 1 du niveau 2 c’est le temps : « à très court terme » pour le niveau 1 et « à moyen terme » pour le niveau 2.
On notera l’interprétation laissée aux enseignants et élèves pour caractériser concrètement le très court, court et moyen terme… Dès 2003, on abandonne ces notions floues, en gardant uniquement l’idée d’effet différé. Pour la dernière session du bac ancienne formule (2020) la compétence est encore ainsi libellée : « Pour produire et identifier sur soi des effets différés liés à un mobile personnel, prévoir et réaliser… ».
Cette phrase est, en soi, un morceau de bravoure : comment évaluer aujourd’hui ce qui devrait faire effet demain ?

L’illusion de la maîtrise et de la rationalité

La lecture de la succession des modifications de la fiche nationale musculation (2002, 2003, 2007, 2012, 2018) mériterait d’y consacrer une thèse. Une analyse détaillée du produit nous amène à penser qu’il ne peut y avoir eu, en amont, de méthode de travail solide au plan théorique et professionnel.
Notons par exemple l’annonce faite en 2002 « Les sollicitations ne doivent pas en milieu scolaire correspondre à ce que recherchent certaines pratiques de salles de forme : intervenir sur le volume et la structure musculaire ». Or, un an après, en 2003, la fiche annonce clairement qu’un des mobiles sera : « Solliciter la musculature pour la développer en fonction d’objectifs esthétiques personnalisés (recherche de l’augmentation du volume) ». D’une année à l’autre l’augmentation du volume passe de proscrit à possible. Au passage on notera qu’il y a une contradiction entre annoncer un objectif personnalisé et imposer 3 objectifs, à l’exclusion de tous autres…

Dans la réalité concrète, ce qui est prescrit laisse une immense marge d’interprétation. Ce qui résonne aujourd’hui avec l’abandon des fiches nationales au prétexte qu’elles seraient trop contraignantes ! En effet les formulations du type (fiche 2018) : « Engagement optimal au regard des ressources et du temps » qui est un des items qui renvoie à la case de la meilleur note, offre une telle latitude dans la compréhension que finalement on peut y mettre tout et son contraire. Ce qui se traduit par 2 extrêmes dans les pratiques professionnelles : soit une débauche d’ingénierie avec des tableaux, un suivi personnalisé numérique, des plans de séances… et bien entendu des planches d’anatomie plus ou moins sophistiquées, ou bien une évaluation « globale », c’est-à-dire à la tête du client : quelqu’un qui a bien travaillé aura de toute façon une bonne note. La phrase relevée dans la fiche repose sur 2 choses : que l’on sache ce que sont les ressources d’un élève (de quoi parle-t-on exactement à propos de musculation ?), et qu’on sache ce que signifie un engagement optimal… on est très loin d’une réponse qui fasse culture commune. Donc qui aura raison ? L’ingénieur ou l’artisan ?

La CP5 fonctionne parce qu’elle donne une impression de sérieux au sens scolaire : on ne s’acharne pas sur les performances, les charges, mais sur la méthode, on prépare ainsi les jeunes à ne pas être des consommateurs béats des salles privées. Pourtant que d’affirmations sans références sérieuses, sans savoirs stabilisés, sans enquête solide. L’exemple des étirements est révélateur : largement survalorisés dans la nouvelle fiche d’évaluation, alors que les recherches montrent leur inutilité dans la plupart des situations[[La revue Sport et Vie est un bon exemple. Sur le sujet on pourra lire par exemple le hors-série n°39 sur les idées reçues et le pouvoir du stretching…]].
Contenus et évaluations sont ainsi nourris d’approximations et c’est l’enseignement qui est mis en situation de dégager des principes sérieux pour les pratiques professionnelles. Encore faudrait-il que le travail de suivi se fasse. Ce qui n’est pas vraiment le cas aujourd’hui. En attendant, pour rester sur des références scientifiques, méditons sur un article paru dans Sport et Vie et qui titre dans un numéro spécial entraînement : l’haltérophilie plus efficace que la musculation[[ Sport et Vie, n°166. Janvier 2018.]] !

Cet article de Christian Couturier est paru dans Contrepied n°26 – Musculation