La course de montagne : une activité scolaire de développement de la personne

Temps de lecture : 12 mn.

Une option randonnée de montage en lycée. Avec le souci constant de préserver la santé de ses élèves, Hervé Payre montre qu’avec un entraînement suivi, on peut développer les ressources des élèves et les préparer à investir de manière autonome le milieu naturel qui les entoure.


Hervé Payre a crée avec ses collègues une option facultative de course de montagne.
Il propose des contenus exigeants pour une activité tout autant exigeante pour les élèves, avec le souci constant de préserver leur santé et démontre qu’avec un entraînement suivi, on peut développer les ressources des élèves et les préparer à investir de manière autonome le milieu naturel qui les entoure.

L’ Ile de la Réunion a cette caractéristique d’offrir une nature exceptionnelle, diverse, variée qui offre la possibi­lité de pratiquer beaucoup d’activités de pleine nature comme la randonnée, la course de montagne, le canyoning, le VTT, le surf, la plongée, le parapen­te, etc. C’est une nature généreuse, qui s’étend du niveau de la mer à plus de 3000 mêtres d’altitude dans un espace restreint, donc avec des pentes très raides, nature dans laquel­le les Réunionnais s’aventurent peu finalement. D’une manière générale, une grande partie des Réunionnais connaît mal l’île, mais il faut préciser que randonner sur ces sentiers en toute sécurité requiert des connais­sances.

La course de montagne: une activité scolaire rare qui s’appuie sur des pratiques culturelles fortes

L’option course de montagne du lycée Boisjoly Potier est la seule en France à notre connaissance. Les élèves des sections professionnelles industrielles de ce lycée pratiquent aussi cette activité en cours d’EPS. L’option a été créée après qu’une section sportive course de mon­tagne au lycée Georges-Brassens de Saint-Denis a vu le jour. Il existe des compétitions en UNSS.

Cette activité scolaire s’appuie sur une pratique culturelle forte à la Réunion : le cross du Piton des Neiges, créé en 1987, demande de courir 15 km avec un dénivelé positif de 2000 m . Les meilleurs le réalisent en moins de deux heures. À l’extrê­me existe le Grand Raid de la Réunion : c’est un ultra trail, pas une course de montagne, même si les concurrents courent. L’effort y est de longue durée et intense (9000 m de dénivelé positif, 9000 m de dénivelé négatif). Des courses de ce type existent en France métropolitaine comme l’ultra trail du Mont Blanc. Elles se sont développées depuis
quelques années dans le cadre des courses hors stades.

Pour le lycée, nous avons adapté l’épreuve en fonction de la matura­tion squelettique, musculaire, phy­siologique et psychologique des élèves. Nous avons clairement choisi de protéger leur santé et leur sécuri­té.
Ainsi pas ou peu de descente, les contraintes mécaniques y sont très fortes, le quadriceps est très sollicité en contraction excentrique, l’effort serait trop violent sur les plans mus­culaires et tendineux. Les sentiers sont très techniques, les risques de chutes sont multipliés s’il y a trop de vitesse. C’est pourquoi l’épreuve ne se fait qu’en montée (pente supé­rieure à 6 % pour la moyenne du parcours). La nature très irrégulière du sol exige une attention constante, les pentes accentuées sollicitent un effort intense, donc le format est beaucoup plus court que celui des courses de montagne pratiquées en dehors de l’école, très rares pour les jeunes.

Il s’agit de réaliser un parcours connu de trois à huit kms avec un dénivelé compris entre 500 et 800 m de dénivelé positif (montée). Il y a peu de dénivelé négatif (descente).
Les filles sont évaluées sur le même parcours mais plus court et elles ont moins de dénivelé.
Cette différence entre l’épreuve filles et garçons vient de la différence VMA entre les filles et les garçons, différence qui se retrouve dans la VMA ascensionnelle (VMAa).

Nous sommes partis des fiches créées pour les sections profes­sionnelles de La Réunion pour élabo­rer un niveau 3 de compétence.

Pour le bac 2009, les filles ont un parcours avec dénivelé de 550 m et les gar­çons de 700 m, soit presque 18 % de pente sur la moyenne du par­cours!

Pour avoir 15/15, les garçons doivent se déplacer à 925m/h pen­dant presque 45 mn et les filles à 725m/h pour la même durée. Leurs VMA ascensionnelles sont donc bien supérieures à ces vitesses (temps de soutien à 100 % de VMAa d’environ 6 mn) .
En randonnée, les topo-guides donnent des repères de l’ordre de 300 à 400 m/h .

Des élèves « normaux » pour une activité exceptionnelle

Dans l’établissement, les élèves ont le choix entre deux activités pour l’option facultative EPS : danse ou course de montagne.

Pourquoi s’inscrivent-ils ?
Les motivations pour la pratique de l’option sont nombreuses : sortir en pleine nature, découvrir l’envi­ronnement qu’ils ne connaissent pas, se retrouver entre copains, obtenir des points pour le bac, deve­nir compétent dans cette activité et pourquoi pas s’échapper du cocon familial !

Dix neuf élèves viennent régu­lièrement, à peu près autant de filles que de garçons et proviennent de toutes les sections, technologiques comme générales.
Nous ne recrutons pas que des élèves super forts en course. Le groupe est très hétérogène du point de vue des ressources énergétiques, les VMA vont de 8, 9, 9 .5 à 13, 15, voire 18 km/h . Certains ont couru par exemple un triathlon d’une heure à haute intensité, mais d’autres ne courent pas plus de 6 mn sur plat à 60 ou 70 % de leur VMA en début de formation !

Des ressources sollicitées et développées

Les ressources mentales sont très importantes. Il faut apprendre à accepter l’effort. On travaille souvent à la limite de l’équilibre aérobie/anaé­robie. C’est éprouvant sur les plans respiratoire et cardiaque. Dès que la gestion de l’effort est défaillante, le coureur ressent des tensions voire des douleurs musculaires, des bouf­fées de chaleur, la respiration est haletante. Pour accepter l’effort, il ne faut pas aller trop loin, nous sommes très vigilants. De plus, la notion de dénivelé à gravir impressionne. En début d’année, lors d’une ran­donnée de 1000 m de dénivelé posi­tif d’environ 3 h 30, Anne-Cécile pensait qu’elle ne pourrait pas termi­ner après deux heures de marche, il a fallu longuement la rassurer pour qu’elle puisse reprendre l’effort (bais­se de la fréquence cardiaque, rythme respiratoire régulé).

Nous travaillons sur la VMA (stade, cross) orientée sur la VMA ascen­sionnelle (VMAa) (montée). On peut être très bon sur le plat mais avoir des difficultés en montagne : il faut lever les genoux, poser les pieds pas forcément où on veut, les sentiers sont piégeux : trous, racines, cailloux, boue, etc. On n’a pas non plus le même équilibre en montant, il faut s’incliner vers l’avant et les filles ont une bascule du buste plus pro­noncée quand ça monte fort.

Sur le cursus, il y a des transformations importantes. La VMA passe de 8 à 11, ou de 13 à 16 et même de 15 à 17 . Mais ce n’est pas le princi­pal critère qui m’intéresse. Encore une fois, il est question d’un effort en montée, cela fait toute la différence. Les progrès sont très visibles à tra­vers les éléments suivants : les tests VMA nécessaires, mais surtout les temps réalisés sur les parcours natu­rels (où la VMAa est en jeu), la mise en relation de la vitesse et de la fré­quence cardiaque : par exemple, si j’ai gagné 2 minutes sur un parcours sur site et que la fréquence car­diaque est restée stable, il y a eu progrès.
Les transformations sont très impor­tantes aussi sur tout ce qui concerne la gestion de la course. Par exemple, comment j’arrive à équilibrer mon effort sur l’ensemble du parcours en gérant des temps forts, en « amortis­sant » des portions plus rudes…
Les progrès sur le plan physiologique et surtout sur la gestion de l’effort sont très liés à la régularité de l’en­traînement.

Les entraînements sur stades

Pendant la séance hebdomadaire de deux heures sur stade, les conte­nus sont centrés sur le développement physiologique et musculaire, sur les méthodes d’en­traînement qui font l’objet d’interro­gations à l’épreuve orale, et sur les techniques de course. J’explicite tous les entraînements que je propo­se aux élèves, combien de séries, de répétitions, pourquoi, etc. Je suis très à l’écoute de leurs ressentis. Je suis attentif à leurs états de fatigue et évite les états d’épuisement. Mon souci est de les faire progresser en les préservant, c’est une activité exi­geante pour les élèves, il faut qu’ils en ressentent aussi du plaisir.
Je n’ai pas réussi à trouver d’autres solutions que de les faire courir pour s’échauffer, donc on entre dans l’ac­tivité par la course.
Nous démarrons par 15 mn de cour­se lente. Les élèves se retrouvent, en profitent pour discuter.
Puis ils font un étirement par groupe musculaire : adducteurs, quadriceps, ischio-jambiers, mollets. Nous passons ensuite à des éducatifs habituels pour la course, par exemple:

  • des montées de ge­noux, bras synchroni­sés, puis les bras placés en haut, les deux mains vers le ciel, les bras pla­cés sur les côtés, avec des circumductions de bras, dans un sens, dans l’autre ou au contraire sans utiliser les bras.
  • Un travail jambes ten­dues pour le griffé, avec des grandes ou au contraire toutes petites foulées.
  • Un travail de bondis­sements.

Ces éducatifs permet­tent d’apprendre à pla­cer le bassin et de tra­vailler la cheville. C’est aussi important en mon­tagne d’être capable de transmettre la force du bas vers le haut.
S’il s’agit d’une séance de développement de la VMA, je propose un tra­vail intermittent. Par exemple, deux séries de dix répétitions de course sur 20″ en ligne droite. Il faut courir 20″ à sa VMA+1km/h, donc la distance cou­rue varie pour chaque élève. Récupération de 20″ sur place ou avec vitesse basse.

J’en profite pour insister sur l’hydra­tation pendant l’effort. Sur la tenue aussi : tee-shirt et short pour être le plus à l’aise mais aussi casquette! Le climat est chaud, il ne faut pas faire monter exagérément sa tempé­rature.

Ensuite en fonction du moment de la saison, je propose un travail de mus­culation.
Par exemple des exercices de gaina­ge : statique sur coudes et pointes de pieds, d’abdominaux. Des exer­cices spécifiques pour les quadri­ceps : tenir la chaise, 30″ au début, 45″ à la fin, des séries de flexions (type Ruffier-Dickson), les mêmes avec bras tendus devant, ou encore des séries de 20 élévations des fesses en gardant les mains au sol. Des exercices pour les quadriceps et les adducteurs : marche en fentes avant avec le genou de la jambe arrière plié, quand celui-ci frôle le sol, on déclenche une nouvelle fente.
Ce travail de musculation peut se faire aussi sous forme de circuits de trois minutes où musculation dyna­mique, statique et course se mélan­gent.
La séance se termine par 6,7 minutes de course et des étirements que nous réalisons ensemble.

Les contenus spécifiques sur site

Ils ont lieu sous forme de sorties le samedi après-midi de 11 h 40 (fin des cours) à 15 h. Cela peut être aussi sous forme de stages groupés pendant les vacances: deux jours avec nuitée en gite en octobre, à Pâques où nous combinons randon­née et canyoning, deux fois une demi-journée en janvier, mars et mai (vacances).
Lors de ces sorties, nous sommes trois enseignants. Nous essayons de donner un caractère convivial, par exemple cela peut se terminer par un pique nique avec les parents.
Sur site, nous pouvons programmer aussi un travail intermittent et de la musculation. Mais il y a des appren­tissages spécifiques.

Repérage

Dans un premier temps, les débu­tants doivent apprendre à repérer le sentier pour ne pas se perdre et créer des automatismes en cas de doute. Trois groupes sont formés en fonction de leur capacité estimée, chacun accompagné par un ensei­gnant. Les allures sont différentes pour chaque groupe pour que l’in­tensité de l’effort soit identique.

La notion de rythme
C’est un apprentissage extrême­ment important. La régularité en jeu ici est celle de l’effort fourni et non de l’allure. Il faut y tendre le plus possible, nous savons qu’elle n’existe pas réellement. Cela se traduit par le rythme régulier de la fréquence cardiaque. Il faut apprendre à aller vite quand c’est facile, et moins vite quand c’est pentu. Il faut prendre conscience que même si je me sens bien, je ne dois pas forcer trop, mais que lorsque c’est plus facile, je force un peu pour garder un effort de même intensité.

La mémorisation du parcours

Pour mieux gérer sa course, et se situer sur le parcours (dénivelé).

Se constrûre des repères, identifier des sensations

Intérioriser l’allure de course en liai­son avec le pourcentage de pente et mettre en relation la fréquence car­diaque (Nous disposons de cardio­fréquencemètre) et les sensations respiratoires.
Apprendre à repérer quand je peux courir et quand je dois marcher en fonction de la pente. Plus c’est pentu, moins la composante élas­tique agit, la course consomme alors trop d’énergie.

Je ressens des tensions mus­culaires, la respiration n’est pas tou­jours facile, de la fatigue. Quand puis-je continuer, à partir de quand dois-je ralentir ? Nous sommes sur le fil car il est normal de ressentir des douleurs, mais il faut apprendre à les évaluer pour ensuite prendre de bonnes décisions : si je continue trop fort, je risque de me mettre en sur-régime et me griller, si je ralentis trop, je perds du temps. Si les élèves ont bien géré leur course, ils récupèrent et mentalement ce n’est pas difficile. Il faut être très attentif à les préserver sur le plan physiologique, mais cela a surtout des conséquences sur le plan psychique. On est vraiment sur la connaissance de soi.
Il est important aussi de savourer le plaisir individuel et collectif de l’effort et la fierté d’avoir réussi à le gérer correctement, d’avoir cette impression d’être plus fort que le milieu !

Les techniques

La course de montagne impose d’acquérir des techniques de mon­tée. Mais nous apprenons aussi des techniques de descente, car si l’épreuve a lieu en montée exclu­sivement, il faut bien redescendre ! Nous ne développerons pas ces der­nières.
On peut classer les sentiers en fonc­tion de leur difficulté. En général, ils sont difficiles à la Réunion en raison de la nature du sol. On ne peut jamais se relâcher complètement.
Il faut apprendre à adapter la lon­gueur de sa foulée, à franchir les obstacles, à poser ses appuis, tout le nécessaire pour être un coureur de montagne efficace!

  • Si je peux courir, j’essaie d’avoir des toutes petites foulées en préser­vant le rythme.
  • Si je marche, je dois apprendre à poser le pied. Si je suis sur du plat, je peux poser mon pied en plante, sur le 1/3 avant du pied. La com­posante élastique et musculaire est perfor­mante mais mes mol­lets s’épuisent vite. Si je dois gravir des marches, il vaut mieux poser mon pied en semelle et dérouler, je sentirai plus le vaste interne du quadriceps.
  • Je peux alléger le travail musculaire en basculant, en inclinant le buste vers l’avant, mais cela nécessite une grande souplesse du bas du dos. Quand la pente est très raide, le buste peut être presque parallèle à la pente, surtout chez les filles.
  • Les mains aident aussi à s’alléger. On peut pousser main gauche sur cuisse gauche et main droite sur cuisse droite, voire les deux mains sur la même cuisse quand la montée est très raide.

Les tactiques de course

Encore une fois, ce n’est pas la régularité de l’allure qu’il faut viser, mais la régularité de l’intensité de l’effort et donc préserver sa vitesse ascensionnelle, fonction de la durée estimée de l’effort. Donc les élèves doivent apprendre à changer leur allure en fonction de la pente. Pour l’épreuve de l’option ils sont seuls pendant la course qui est orga­nisée sous forme de contre la montre.

Les élèves construisent des compé­tences sur la possibilité de se dépla­cer vite, en montée plus particulière­ment, en fonction de leurs capacités. C’est rapidement, par une connais­sance de soi développée, qu’ils pro­gressent et apprennent à gérer des efforts très intenses. Pour cela, la régularité dans la préparation est pri­mordiale, mais le résultat en vaut la peine.

La volonté est de permettre aux élèves d’acquérir des informations qui permettront de pratiquer après leur scolarité. Les élèves deviennent demandeurs d’informations pour
partir avec des amis en montagne, voire s’engager sur des courses accessibles.

Ces courses ouvertes aux jeunes adolescents semblent nécessaires à développer à la Réunion.

Pour cette première session de cour­se de montagne, les résultats sont de qualité (notes de 14 à 20) pour des élèves motivés, cinq garçons et deux filles, qui sont venus s’entraîner régulièrement depuis la classe de 1ère puis plus intensément (mardi, jeudi en fin de journée scolaire et week-end) de février à l’évaluation en mai 2009.

Il apparaît évident que l’inves­tissement des élèves est primordial mais nous n’oublions pas celui des enseignants qui acceptent de tra­vailler dans un cadre très fluctuant, sur des horaires souvent hors norme. Très heureusement, les pro­grès affichés, les relations et les échanges très riches qui s’installent sont des puissants moteurs incitant à poursuivre.

Cet article est paru dans le Contrepied n°24 – EPS : entretien et développement de la personne. – oct 2009