Et si on démocratisait les pratiques ? Un exemple en volley-ball

Temps de lecture : 13 mn.

Charles Boutitie, du collège J. Perrin, Didier Contet, du collège Les Battières et Alexandre Falco du lycée Branly et formateur à l’IUFM de Lyon, nous présentent une forme de pratique de volley-ball pour un premier cycle de collège qui a l’ambition de permettre, dès les premières séances,à tous les élèves d’accéder au jeu et à la marque. Leur travail s’inscrit dans une recherche INRP qui vise à produire des contenus d’enseignement en EPS susceptibles de contribuer conjointement à l’éducation, à l’égalité garçons filles et à l’éducation à la santé.

Un problème professionnel récurrent issu des pratiques quotidiennes

Nos expériences, auprès de nos élèves ou en formation, nous permettent d’apprécier une difficulté majeure à laquelle est confronté l’enseignant dans ses cours d’EPS.

En cycle de sports collectifs, conduire la classe renvoie souvent à gérer un fragile équilibre entre la gestion de conflits entre élèves très impliqués dans la pratique et la gestion des apprentissages du plus grand nombre.
Il faut aussi ne pas oublier les élèves qui sont là, mais ne jouent pas même s’ils ne dérangent personne.
Aujourd’hui nous pouvons distinguer différentes façons de concevoir l’enseignement du volley-ball au collège.
Certaines pratiques s’inscrivent fortement dans le modèle de la haute performance [[J. Metzler, P. Goirand : Une histoire culturelle du sport. Techniques sportives et culture scolaire ; Ed revue EPS.1996.]]. Il nous semble que cette référence ne permet pas à tous les élèves d’exister en tant que pratiquant, c’est à dire un élève qui déploie une motricité spécifique de volleyeur, poursuit un projet personnel dans sa pratique, se structure et structure les autres dans une sociabilité singulière. Elle fait souvent la part belle aux garçons [[C. Vigneron. Contre Pied n°15. La mixité : un révélateur des tensions sociales.]].

Beaucoup d’élèves sont exclus de ces pratiques où seuls les plus forts progressent. Elles sont porteuses de valeurs plutôt masculines qui ont tendance à exclure les filles [[C. Boutitie, D. Contet, A. Falco : Pratiques scolaire en volley et valeurs visées, Revue du cèdre, à paraître 2007.]].
On observe aussi que bon nombre entrent en conflit ou se désengagent quand seuls quelques-uns peuvent s’octroyer leur heure de gloire en marquant des points.

Un contexte de référence plus démocratique en volley-ball

Nous avons fait des choix et nous les exposons ainsi : le contexte proposé à chaque séance doit permettre à tous les élèves de jouer d’emblée et de mettre en place progressivement les habiletés d’une motricité de duel et de relation.

« Le pas en avant » que nous privilégions afin de permettre aux élèves de vivre « une tranche de vie » de volleyeur est le suivant : construire prioritairement chez le pratiquant la frappe haute d’attaque comme technique emblématique, en privilégiant l’exploration d’un jeu direct en situation de duel collectif [[La situation de duel collectif renvoie au travaux de M. Recope qui met en avant la dimension d’opposition inhérente au volley-ball plutôt que de collaboration. Thèse de doctorat université R. Descartes Statut
et fonction du schème de duel dans l’organisation de l’action motrice (le cas du volley-ball). Décembre 1996.]].
La recherche de la rupture rapide pour les élèves, devient la priorité de cette étape.
Au cours de ce premier cycle l’élève construit le passage du renvoyeur (qui repousse la balle de face) au frappeur passeur (qui frappe haut en avançant) ;
Pour construire la frappe haute d’attaque, (quand les élèves frappent en jeu direct, nous ne parlons pas de renvois mais de frappes d’attaque), l’élève va devoir mobiliser une nouvelle référence sur les trajectoires : le segment de la trajectoire au-dessus de la tête et non plus sous les épaules.
Cette connaissance est fondamentale à cette étape et va permettre aux élèves de mettre en place des apprentissages moteurs décisifs, notamment l’ajustement d’appuis pédestres forts et orientés efficacement.

Pour nous, savoir frapper un ballon n’est pas avant tout une question de rapport à la balle et d’apprentissages de manipulation du ballon.
Nous envisageons le problème différemment en proposant un « contexte de référence » permanent, présenté à chaque séance, dans lequel les élèves vont évoluer tout au long du cycle. Il est concevable d’articuler des situations d’apprentissage à ce contexte qui est présenté progressivement aux élèves, de façon à ce qu’ils en comprennent les règles et les enjeux.

Description du contexte de référence pour cette étape

Un jeu en 2 contre 2 dans le cadre d’un tournoi à 4 équipes.

But : défendre et attaquer le plus tôt possible pour marquer. La frappe haute d’attaque directe est valorisée.

Comment gagne-t-on ?
● Score 1 qui est le résultat du match apporte 1 point au gagnant du match.
● Score 2 qui prélève le nombre de points marqués en frappes directes apporte 1 point à l’équipe qui en inscrit le plus.

Il s’agit d’un match à double score où la compétence (marquer en frappe directe) est articulée à la performance. À l’école qui est le lieu de « la culture de l’apprentissage » [[P. Goirand (1997) Contre Pied n°1 ]], « la performance est saturée en compétence »[[A. Coston, J.-L. Ubaldi (2007) CEDRE n°7.]], mieux, elle est dépendante de la compétence sans quoi le risque de formalisme n’est pas loin. Imaginons ce que penseraient les élèves si le score 2 n’était pas intimement lié à la performance.

NB. Quand un élève marque en jeu direct, les observateurs inscrivent un point dans la case score 2 et un point dans le score 1.

-34.png
Exemple de feuille de match

L’équipe rouge gagne le match 2 à 0 en gagnant le score 1 et le score 2.
Espace de jeu : 4 m par 4 m au maximum avec un filet à hauteur de 2 m10 pour solliciter des impulsions au filet.

Un rapport de force équilibré
4 équipes de niveaux homogènes permettant des rapports de force équitables. 1
6 mises en jeu frappées du milieu du terrain en service tennis à raison de deux consécutives par équipe.
La mise en jeu de service se fait à 2 mètres du filet, ce qui induit chez le serveur une obligation de contrôle de la frappe pour servir dans les limites du terrain. Ce geste connoté masculin réalisé dans ces conditions fait appel au dosage qui, lui, est plus féminin.

Des rôles prévus à l’avance
2 rôles obligatoires : 1 serveur-attaquant et 1 défenseur-passeur.

L’attaquant est obligatoirement le serveur.
Le défenseur-passeur a principalement un rôle d’aide, il peut attaquer mais ne marque qu’au score 1.
Une obligation de changer de rôle tous les 4 services (2 services consécutifs par attaquant et par équipe).
Désigner un joueur 1 et un joueur 2 repérés par une couleur de maillot identique (pour faciliter l’arbitrage).

-35.png

Modalité de touche de balle autorisée

Possibilité de bloquer puis lancer sur la première touche de balle pour le défenseur-passeur.
À cette étape, nous préconisons que le bloqueur puisse faire un pas en avant pour se placer devant le futur porteur de balle. Les élèves, après avoir bloqué, se déplacent d’un pas ou non pour se placer en fonction du NPB. En tout début d’apprentissage nous avons l’intuition (nous poursuivons encore notre travail d’observation) qu’un pas permet une équilibration du pratiquant mais aussi un ajustement spatial au partenaire.
Le bloquer-lancer aide le partenaire à construire la différenciation des statuts et joue dans ce cas un rôle de starter, c’est le moment où il doit anticiper pour attaquer.

NB : Il semble possible de réaliser une frappe de balle à dix doigts après le bloquer pour passer au partenaire afin de développer ou améliorer les techniques de frappe (puissance et contrôle de la trajectoire du ballon).

Règlement sur les touches de balle

On peut bloquer une fois par échange. On ne peut pas renvoyer directement le ballon dans le camp adverse après un blocage. Les élèves doivent comprendre qu’à l’issue du bloquer et du lancer, le futur PB devra frapper. Le bloquer du ballon est une technique utilisée au Québec que J. Metzler avait présenté pour des élèves de cycle central afin d’enrichir le réseau de communication près du filet et donner plus de sécurité à l’équipe tentant le relais. Nous utilisons cette modalité de touche de balle afin d’assurer plus de continuité au jeu (moins de balles perdues), rétablir un équilibre entre l’attaque et la défense.

La continuité n’est pas une fin en soi, nous la favorisons initialement car nous savons tous que la touche 1 est un moment difficile de ce niveau, d’autant que l’on privilégie la rupture rapide par la frappe directe dès que possible. Mais quand l’élève ne peut pas jouer directement, il peut user du bloquerlancer.
Le frappeur se trouve dans l’obligation de faire des balles tendues, obliques vers le bas puisque le défenseur va pouvoir bloquer. Dans ce contexte la continuité est vue sous différents aspects : une première frappe réussie en jeu direct est une forme de continuité, un bloquer-lancer pour sauver son camp et faire frapper l’autre en est une autre.

Où se situe l’effort de démocratisation ?

Nos propositions ont l’ambition de rechercher plus et mieux de démocratie à l’école, mais aussi à modifier « des systèmes de croyances » qui sont souvent à la base des inégalités.

Nous reproduisons souvent, à notre insu, le système de normes de sexe [[C. Marro, définit le genre comme « système de croyances, activités, rôles, statuts sociaux culturellement assignés à chaque sexe ».]] qui légitime la distinction entre eux en les hiérarchisant ; ceci a souvent pour conséquence de laisser la plupart du temps les garçons dans le rôle de finisseur (puissance) basé sur la prise de risque et les filles dans le rôle de pourvoyeur et de passeur (précision) basé sur la sécurité.

Parler du genre des APSA (à dominantes plus masculines ou davantage féminines) ne suffit pas, nous voulons être vigilants quant au genre des contenus d’enseignement proposés et aux valeurs réellement véhiculées par ceux-ci.
Dans notre contexte de référence, nous pouvons repérer des orientations choisies consciemment à l’éclairage de cette analyse.

Parmi les plus significatives nous présentons les suivantes.

Première croyance
: les techniques ne sont accessibles qu’aux meilleurs. Dans notre proposition nous avons recherché à équilibrer le rapport de force tout en aidant tous les élèves à lire les différentes trajectoires pour frapper tôt. Le bloquer permet de favoriser la dimension défensive du rapport de force tout en permettant de placer, lors du lancer, le partenaire en situation de rompre. L’accès à ces habiletés pour la plupart des filles et pour les élèves en difficulté d’une manière générale leur donne la possibilité de faire des choix en enrichissant leurs alternatives de jeu.

Dans ce cycle, les élèves devront travailler autour de l’alternative de jeu suivante : Frapper directement pour marquer ou bloquer-lancer pour assurer la défense de leur camp et faire marquer.

Les deux joueurs sont impliqués dans la gestion de l’alternative frapper pour marquer ou passer pour faire frapper ; la différenciation des statuts renforce notre souhait de faire partager l’accès à la marque.

Lorsqu’ils débutent le cycle, ils vivent une autre alternative. Renvoyer (repousser le ballon en face) ou perdre le ballon quand ils sont soumis à des déplacements ou sur des ballons bas.
Ces techniques sélectionnées à un moment donné du cursus de l’élève construisent de la motricité spécifique de volleyeur comme nous l’avons évoqué plus haut. Le développement d’appuis solides et réactifs (travail proprioceptif et de détente), mais aussi une organisation posturale soumise à de nouvelles références sur les trajectoires.
Comme nous l’avons dit, beaucoup d’élèves privilégient la frappe en fin de trajectoire pour protéger la cible horizontale matérialisée par le sol ; d’autres, plus masculins, dans des actions davantage risquées, frappent la balle dès qu’elle entre dans la fenêtre verticale virtuelle placée devant eux (figure 1).

-36.png

C’est cette façon de faire que l’on souhaite mettre en avant dès le premier cycle au collège. Cette nouvelle organisation motrice, frapper haut en avançant, est à nos yeux fondamentale pour la construction du pratiquant au fil du cursus.

Deuxième croyance : le rôle d’attaquant est pour les élèves les plus dominants, les plus habiles. Notre règlement (statut d’attaquant et défenseur de manière équitable, rotation tous les 4 services) rend obligatoire l’accès pour tous à tous les rôles et statuts du jeu. Il y a une contrainte initiale qui finalement à bien y regarder permet de placer tous les élèves devant les responsabilités. Les responsabilités peuvent être vues sous la forme des alternatives de jeu citées. Passer d’un statut de défenseur à un statut d’attaquant et réciproquement de façon équitable, prévu à l’avance permet de diminuer les conflits entre les joueurs et donne à chacun la possibilité de pouvoir vivre les émotions inhérentes à l’activité réservées la plupart du temps aux plus forts ou aux leaders. Traditionnellement, les collè- gues prévoient les rotations des matches dans le cadre de tournois. Nous préconisons d’aller jusqu’à faire tourner les rôles et statuts pendant le match. Ce contexte intègre une règle sur la rotation des rôles tous les 4 services. Cette règle, mise à disposition temporairement et à ce moment précis du cursus (étape 1), pourra évoluer au cours du curriculum. Contraindre temporairement permet d’apprendre… pour mieux se libérer plus tard. Cette mesure conduit momentané- ment les meilleurs à se mettre au service du partenaire et les plus faibles à être placés en situation de prendre des initiatives sur la marque.

Troisième croyance : le résultat du match est joué d’avance. Les élèves avant de jouer anticipent l’issue de la rencontre, sans forcément résonner en terme de dénouement incertain. Il nous paraît souhaitable de constituer les équipes selon plusieurs principes : tout d’abord rechercher un dosage des forces dans l’équipe pour permettre des rapports de force équitables. Ensuite attribuer les rôles des joueurs des deux équipes de manière à ce que soient constitués des duels équilibrés pour être en mesure de se contrarier en jeu de défense et lors de l’accès à la marque. Dit simplement, c’est envisager que le joueur fort d’une équipe ait son équivalent en face, de même pour les plus faibles.

Nous ne nous plaçons plus sur une logique d’équipes hétérogènes, homogènes ou de niveaux. Ce qui nous mobilise est prioritairement de constituer des équipes permettant, autant que possible, de favoriser des rapports de force équitables permettant l’incertitude.
Ce qui prévaut est l’équilibre du rapport de force.

Après chacun fait comme il le peut pour essayer de s’en approcher.

Maintenir l’esprit du jeu avec son incertitude, ses plaisirs et ses angoisses [[C’est ainsi que William G. Morgan décrivait son jeu à l’origine.]] est fondamental pour que les élèves vivent, découvrent ce qui constitue des conditions initiales d’émergence de la pratique : l’enjeu et le dénouement du jeu.

Quatrième croyance : marquer est réservé à quelques-uns
Notre système de marque, les rôles fixés et changeants, constituent des opportunités pour élargir l’accès à la marque sans dénaturer la pratique. Valoriser le jeu direct permet à la fois de s’appuyer sur les représentations spontanées de renvoi des élèves tout en les enrichissant par des actions de rupture.
Marquer de préférence en jeu direct constitue une arme accessible au plus grand nombre et offre une véritable fenêtre sur les progrès à venir. On a parfois trop tendance à penser d’emblée au jeu de relais, sans avoir pris soin de faire vivre intensément aux élèves cette forme de duel en attaque. Empêcher les élèves de jouer en jeu direct pour marquer à cette étape, c’est prendre le risque d’un pari intenable, celui de la construction de la conservation du ballon pour jouer en jeu indirect. Les habiletés qu’il faut alors viser nécessitent bien plus que dix heures de pratique. Pour que tous jouent, essayent de marquer, il s’agit de bien mesurer l’objet que l’on met à l’étude dans le cadre spatio-temporel de l’école.

Au-delà des apprentissages du pratiquant, il se joue également un pouvoir oser où prendre l’initiative confère à l’élève une position cruciale de responsabilité et de décision.

Aider l’élève à se mettre aussi au service du collectif repousse le spectre de la starisation et de l’individualisme. Remarque : marquer uniquement dans le score 1 peut ne pas suffire à gagner le match. Cela peut faire réfléchir les élèves qui auraient tendance à s’octroyer tout l’espace de jeu et à jouer seul.

Cinquième croyance : pour jouer et marquer, il faut que l’élève ait des prérequis

Le contexte présenté ci-dessus vise à offrir 15 secondes de gloire à tous les élèves le plus souvent possible. Lorsque la trajectoire est mal identifiée, l’élève peut judicieusement bloquer plutôt que de tenter une technique pas encore mise en place à l’école.
L’idée n’est pas de créer une dépendance, mais des conditions d’émergence de la prise d’initiative des élèves, contextualisées à un niveau de pratique identifié. Permettre progressivement à l’élève de s’émanciper de cette modalité de manipulation du ballon fait partie du projet de l’enseignant.

Instaurer des îlots de démocratie dans les pratiques en EPS, nous invite à réfléchir à nos choix de contenus ainsi qu’au contexte d’enseignement pour y accéder.
C’est aussi sur un plan plus général l’idée de viser deux orientations distinctes et néanmoins complémentaires, d’une part l’affirmation de la liberté individuelle que nous encourageons par les apprentissages de contenus émancipateurs, d’autre part, le souci de véhiculer des valeurs collectives de solidarité.

L’école représente l’un des derniers lieux qui revendique et organise la mixité sociale et qui véhicule des valeurs d’altérité, de vivre ensemble, tout en visant l’appropriation d’une culture émancipatrice.
Nos propositions visent à mettre en phase discours et pratiques pour tenter d’apporter des réponses mais aussi de susciter des interrogations auprès des praticiens du quotidien avant la dimension d’opposition inhérente au volley-ball plutôt que de collaboration.

(Cet article est paru dans Contrepied n°21 – EPS, des choix politiques quotidiens.)